mercredi 17 décembre 2014

Gamelan & conservatisme



L’internationalisation de la pratique du gamelan & la révolution conservatrice
à la lumière du cas américain



Résumé :
Comment expliquer l’intérêt soudain pour le gamelan hors d’Indonésie depuis les années 1970 ? Cette pratique musicale s’est tout d’abord diffusée aux États-Unis avant de séduire d’autres pays qui semblent avoir suivi l’exemple américain. La multiplication des ensembles de gamelan s’explique aux États-Unis par la naissance d’un intérêt nouveau pour la « diversité » des cultures du monde (celles de l’Amérique mais aussi celles des autres régions du monde). L’éducation musicale dite « multiculturelle » adoptée depuis une vingtaine d’années offre au public américain un vaste choix d’activités musicales du monde – le gamelan n’étant qu’une pratique parmi d’autres. Cette nouvelle pédagogie est une traduction dans le champ de l’éducation musicale de la révolution conservatrice qui est au principe de toutes les politiques des gouvernements de droite comme de gauche depuis 1973 et qui a pour principal effet l’accentuation profonde des inégalités sociales dans ce pays. Révolution conservatrice qui se propage un peu partout dans le monde depuis une vingtaine d’années.


Depuis les années 1970, la pratique du gamelan[1] rencontre un intérêt soudain en dehors de sa terre natale, l’Indonésie. A ce jour nous avons recensé 313 orchestres de gamelan actifs[2] hors d’Indonésie : 99 aux États-Unis, 70 en Angleterre, 39 au Japon, 38 aux Pays-Bas, 18 en Allemagne, 14 en Australie, 9 au Canada, 8 en France, 4 en Nouvelle-Zélande auxquels il faut ajouter quelques ensembles répartis en Europe[3] ou ailleurs dans le monde[4]. Cette diffusion n’est pas l’œuvre d’une diaspora indonésienne sauf dans quelques cas exceptionnels comme en Hollande (où se trouve une petite communauté d’Indonésiens ayant émigré après la décolonisation[5]), en Malaisie (en raison de sa proximité géographique et culturelle avec l’Indonésie) et au Surinam (la Guyane hollandaise où les Hollandais ont fait venir une main-d’œuvre indonésienne). Il semblerait que dans les autres orchestres de gamelan formés hors d’Indonésie, la plupart des participants ne soient pas indonésiens. Le succès du gamelan aux Pays-Bas est sans doute lié à l’histoire postcoloniale de ce pays[6], mais comment expliquer l’intérêt soudain pour cette pratique musicale en Amérique, en Angleterre ou au Japon ? C’est aux États-Unis que l’on trouve aujourd’hui le plus de gamelan hors d’Indonésie, et c’est en s’inspirant du modèle américain que des Anglais ou des Japonais ont fondé leur ensemble. C’est donc à ce pays que nous voulons nous intéresser tout particulièrement. La première partie de cet article évoquera l’histoire de la diffusion de la pratique du gamelan aux États-Unis ainsi que dans quelques pays inspirés par l’exemple américain, la seconde partie donnera quelques raisons du succès de cette pratique dans ce pays, en particulier le rapport entre gamelan, « multiculturalisme » et révolution conservatrice.

1. Histoire du gamelan américain et son influence hors des États-Unis

1.1 La diffusion du gamelan aux États-Unis

Babar Layar est, à notre connaissance, le premier gamelan fondé en dehors de l’Indonésie. Cet ensemble constitué en 1941 en Hollande (à Haarlem) par quelques Hollandais passionnés par la musique de Java, demeura actif jusque dans les années 1950[7]. Les musiciens de Babar Layar étudient les travaux des ethnomusicologues (en particulier ceux de Jaap Kunst, un Hollandais ayant effectué des recherches sur les musiques indonésiennes) et écoutent des enregistrements pour apprendre le répertoire javanais. Ce groupe donne des concerts en Hollande et dans toute l’Europe. Cette initiative ne semble pas avoir fait d’émules en Europe ; elle a toutefois marqué un jeune étudiant américain, élève de Kunst, Mantle Hood.
Mantle Hood étudie le gamelan à Java pendant sept années. Il est responsable en 1954 de la création de l’Institut d’Ethnomusicologie à l’UCLA (University of California at Los Angeles) et offre le premier enseignement d’ethnomusicologie dans une université aux États-Unis. En 1955, Mantle Hood fait importer des instruments d’Indonésie et forme un gamelan avec ses étudiants. La pratique du gamelan est un complément indispensable à l’étude théorique dispensée dans son séminaire, Mantle Hood insistant sur la nécessité de pratiquer la musique pour en avoir une meilleure compréhension. En effet, un ethnomusicologue doit être selon lui capable de maîtriser plusieurs langues et pratiquer plusieurs musiques d’où l’idée de « bi-musicalité » avancée par Hood. Cette « bi-musicalité », ou double compétence musicale, ne s’acquiert selon lui qu’après un séjour de plusieurs années sur le terrain. La pratique du gamelan aux États-Unis n’est donc qu’une initiation qui doit trouver son prolongement dans un long apprentissage en Indonésie.
La diffusion de la pratique du gamelan aux États-Unis ne se fait pas uniquement par la voie de l’ethnomusicologie et de Mantle Hood. Ainsi Dennis Murphy, professeur de composition à l’université de Wisconsin, met en place un atelier de gamelan à partir de 1957 (grâce à un de ses collègues qui lui fait don des instruments rapportés après un séjour à Java). Par ailleurs, Murphy fabrique lui-même tous les instruments d’un orchestre de gamelan en 1960 pour lequel il va composer plusieurs pièces.
Si Mantle Hood n’est pas l’unique voie du développement du gamelan américain, son action semble toutefois la plus déterminante. Un de ses étudiants, Robert Brown, développe un programme de « world music » à la Wesleyan University de Middletown dans les années 1960, puis au California Institute of Arts (CAL Arts) dans les années 1970 et enfin à l’université de San Diego dans les années 1980. Grâce à ces divers programmes d’enseignement, de nombreux étudiants s’initient à la pratique du gamelan. Parmi ces étudiants figure Jody Diamond. Après s’être formée auprès de Robert Brown, elle enseigne l’ethnomusicologie à CAL Arts de 1970 à 1975 (elle enseignera ensuite à l’Université de Berkeley, au Mills College, au Goddard College, et enfin au Dartmouth College). En 1972, elle seconde le compositeur indonésien K. R. T. Wasitodiningrat (Pak Cokro) qui dirige le gamelan de CAL Arts. Parmi les élèves de Diamond et Pak Cokro figurent de futurs fondateurs de gamelan et compositeurs intéressés par ce médium comme Lou Harrison. Ce dernier s’initie au gamelan en 1975 avec Robert Brown au Center for World Music à l’université de San Jose. La même année, K. R. T. Wasitodiningrat demande à Lou Harrison d’écrire de la musique pour gamelan. Les premières pièces pour gamelan indonésien de Lou Harrison sont créées lors d’un concert en 1976. Aussitôt après, trois musiciens présents dans la salle, Paul Dresher, Barbara Benary et Daniel Schmidt vont former leur propre ensemble : Schmidt et Dresher à l’université de Berkeley ; Benary à l’université de Rutgers avec l’aide de deux collègues compositeurs (Daniel Goode et Philip Corner).
Jusqu’à la fin des années 1960, les ensembles de gamelan restent encore très rares aux États-Unis. Ce n’est que vers le milieu des années 1970 que la pratique du gamelan va se développer : Mantle Hood constitue en 1974 un gamelan dans l’université d’Hawaii à Honolulu, Michael Tenzer forme en 1977 Seker Jaya, un gamelan qui interprète de la musique balinaise, et Vincent Mc Dermot forme son propre ensemble en 1980 au Clark College, pour en citer quelques uns. Le nombre d’ensembles augmente alors très rapidement. En 1983, on en compte déjà une soixantaine[8]. Ce nombre augmente encore (mais moins rapidement) jusqu’à la fin des années 1980. Il se stabilise entre 90 et 100 ensembles depuis les années 1990.
 
1.2 Le modèle américain s’exporte

Dans une interview récente, le compositeur américain Lou Harrison a évoqué la création d’un gamelan en Egypte (une « nouvelle nation est tombée » selon lui) et parlé avec amusement « d’impérialisme culturel indonésien »[9]. Sans avoir la prétention de retracer l’histoire du transfert du gamelan dans tous les pays[10], nous voudrions simplement évoquer quelques cas montrant que cette diffusion du gamelan dans le monde est sans doute moins à attribuer à un « impérialisme culturel indonésien » qu’à la diffusion du modèle américain. Nous évoquerons ainsi rapidement la création des premiers ensembles au Japon et en Angleterre où l’on trouve le plus de gamelan après les États-Unis, et dans quatre autres pays où nous avons clairement pu établir un lien entre transfert du gamelan et inspiration du modèle américain (le Canada, Taiwan, Singapour et Israël). 

La formation du premier gamelan au Japon[11] est à l’initiative du Professeur Koizumi Fumio qui est invité aux États-Unis à la Wesleyan University en 1967 et 1971. Koizumi Fumio, s’inspirant des pratiques des étudiants de l’université américaine, met en place des ateliers de gamelan au Japon. Ces ateliers ont lieu chez lui avec ses propres instruments de 1971 à 1974. En 1973, l’Université Nationale de Tokyo où il enseigne fait l’acquisition d’un gamelan (dont les instruments sont importés de Java-Central) pour son programme d’ethnomusicologie. Quelques étudiants de cette université se rassemblent pour former un ensemble nommé Lambang Sari. Suivant l’exemple de l’Université Nationale de Tokyo d’autres universités japonaises vont mettre en place des ateliers de gamelan : l’Université d’Osaka en 1979, le Kunitachi College of Music en 1982 (gamelan balinais dirigé par Tsuge Genichi, un enseignant de l’Université Nationale de Tokyo), etc. Le nombre de gamelan augmente rapidement à partir des années 1990 pour atteindre le chiffre de 39 ensembles actifs sur le sol japonais en 2006, dont au moins 13 résident dans une université.

En 1972, le public anglais a pour la première fois l’occasion de pratiquer le gamelan grâce au néo-zélandais Allan Thomas qui prête un ensemble de gamelan au Dartington College et donne quelques cours aux étudiants de cette institution[12]. En 1976, au Durham Oriental Music Festival on invite un gamelan de Hollande pour donner un concert. Ce concert remporte un succès notable. L’ambassade d’Indonésie décide alors de commander un gamelan pour d’éventuels concerts (ce qui supprime le coût du transport des instruments). Ce gamelan arrive en Angleterre en 1977. Neil Sorrell, professeur de musique à l’Université de York, ayant fait ses études aux États-Unis à la Wesleyan University où il a découvert le gamelan, demande alors la permission à l’ambassade d’Indonésie d’utiliser ce gamelan avec ses étudiants. L’ambassadeur indonésien, Kapto Sunoto, est très enthousiasmé par ce projet et par l’idée que des musiciens anglais s’initient à la pratique du gamelan. Il accède immédiatement à la demande de Neil Sorrell. Ce dernier organise alors des ateliers d’initiation à la pratique du gamelan pour ses étudiants de l’université de York, puis pour des étudiants de l’Université de East Anglia, et une classe de cours pour adultes à Birmingham dirigée par Jan Steel. Le premier gamelan anglais, l’English Gamelan Orchestra, est fondé par Neill Sorrell et Jan Steel en 1980. Ils invitent des amis musiciens et compositeurs à se joindre à eux pour former un groupe de gamelan permanent, répétant régulièrement à l’ambassade d’Indonésie. Cet ensemble demeure actif jusqu’en 1983. Dès la première année de son existence, ce groupe donne un concert[13]. Neil Sorrell obtient de son université (la York University) l’achat d’un ensemble de gamelan qui arrive de Java en 1982. Au même moment, le Dartington College commande un gamelan balinais et l’université de Durham achète un gamelan javanais. Ces trois universités intègrent la pratique musicale indonésienne dans le cursus universitaire.
En 1983, le gouvernement indonésien offre un gamelan javanais à l’Université de Cambridge. Un membre de l’English Gamelan Orchestra, David Posnett, va former un groupe permanent dans cette université de Cambridge. En 1984, c’est l’Université de Queen à Belfast qui commande un gamelan balinais. Ce gamelan est acquis par le département d’anthropologie sociale de cette université et sera dirigé par une jeune doctoresse en ethnomusicologie, Annette Sanger.
En Angleterre, il y a actuellement au moins 70 ensembles de gamelan. Tous ces ensembles (universitaires ou non) organisent des ateliers d’initiation au gamelan ouverts à tous y compris aux enfants. Maria Mendoça note l’accroissement du nombre de projets engageant le gamelan avec des établissements du primaire ou du secondaire depuis les années 1990[14].
Neil Sorrell, qui a donc eu un rôle déterminant dans la diffusion du gamelan en Angleterre, semble aussi avoir joué un rôle non négligeable dans l’histoire du gamelan français. En 1993, Sorrell supervise la création d’un gamelan à la Cité de la Musique, à Paris : d’une part, il demande au Javanais Tentrem Sarwanto de fabriquer les instruments du gamelan qu’il nommera Sekar Wandi, d’autre part, il joue et enseigne à la Cité de la Musique. Sekar Wandi n’est toutefois pas le premier gamelan en France[15].

Le modèle américain semble avoir inspiré la création d’ensembles de gamelan dans plusieurs autres pays. Le premier ensemble de gamelan canadien est fondé par le compositeur canadien Jon Siddall. Celui-ci étudie la composition au tout début des années 1980 au Mills College de Oakland (en Californie) avec Lou Harrison. C’est ce dernier qui lui fait découvrir le gamelan. Siddall aidé par Lou Harrison entreprend alors de créer au Canada un ensemble de gamelan degung (style de la région javanaise de Sunda). Il fait l’acquisition en 1983 d’un ensemble d’instruments. A Toronto, il réunit une dizaine de musiciens intéressés par cette musique et forme l’Evergreen Club. Les musiciens de l’Evergreen Club donnent régulièrement des concerts, alternant des pièces du répertoire traditionnel et de musique contemporaine (plusieurs compositeurs nord-américains ont écrit une pièce à leur intention et certains membres sont à la fois interprètes et compositeurs). Andrew Timar, flûtiste de l’Evergreen Club est responsable de deux autres ensembles de gamelan à Toronto : le Venerable Son of the Rising Mist et un ensemble qui se réunit au Consulat d’Indonésie depuis 1995. A l’école de musique de l’University of British Columbia de Vancouver, un ensemble balinais a été fondé par Michael Tenzer, fondateur du gamelan californien Sekar Jaya. En dehors de Toronto et Vancouver plusieurs autres gamelan ont été fondés au Canada depuis (notamment un ensemble à Montréal).
A Taiwan, c’est aussi l’exemple américain qui détermine la création d’un ensemble de gamelan. Han Kuo-Huang, ethnomusicologue, a fait ses études à l’Université de Northwestern. Il étudie le gamelan au Centre de Musique du Monde à Berkeley. Il devient ensuite professeur de musique à la Northern Illinois University où il enseigne le gamelan et la musique chinoise. Il se rend régulièrement à l’Institut National des Arts de Taiwan où en 1985 il met en place un programme d’enseignement du gamelan. Il donne lui-même des cours durant l’année universitaire 1986-1987 avant d’être remplacé par Lee Chien-hui. Selon Han Kuo-Huang, le gamelan est le « premier ensemble exotique du pays ». Cela attire l’attention des médias : il doit répondre à huit interviews et le gamelan est invité dans deux émissions de télévision[16].
En Israël, il n’existe à ce jour qu’un seul gamelan : l’ensemble de Jérusalem, du département de musicologie de la Hebrew University of Jerusalem[17]. Cet ensemble a été fondé au tout début des années 1990 par l’ethnomusicologue américain Benjamin Brinner (responsable actuel du gamelan de l’Université de Berkeley en Californie). Ce gamelan, principalement composé des étudiants de l’université, d’anciens étudiants et de quelques membres extérieurs, donne des concerts à l’Université et parfois en dehors.

2. Le gamelan, le « multiculturalisme » et la révolution conservatrice aux États-Unis

Penchons-nous maintenant plus attentivement sur le cas du gamelan américain. Après une rapide présentation des principales caractéristiques de cette pratique musicale (localisation, répertoire, etc.), nous rappellerons le contexte socio-historique très particulier dans lequel s’inscrit le gamelan aux États-Unis.

2.1 La situation actuelle du gamelan aux États-Unis

Le recensement, établi par l’American Gamelan Institute en juin 2000[18], donnait un total de 92 gamelan actifs sur le sol américain. On trouve des groupes de gamelan dans 30 États. Les 10 États où l’on dénombre le plus de gamelan sont les suivants :

État
Nombre de gamelan
Californie
24
Massachusetts
7
New York
7
Oregon
5
Washington
4
Maryland
4
Illinois
4
Colorado
3
Maine
3
Virginie
3

L’État où le gamelan est le plus représenté est la Californie avec 24 ensembles. On parle parfois de « pépinière de gamelan sur la côte ouest » : en effet plus du tiers des gamelan sont situés dans cette partie du pays, soit 33 ensembles (en comptant la Californie, l’Oregon et le Washington). Toutefois, la concentration de gamelan sur la côte nord-est des États-Unis est aussi très importante avec un total de 27 ensembles en comptant les États du Maine, Massachusetts, New York, Maryland (dont le nombre est indiqué dans le tableau), le Connecticut où l’on trouve deux ensembles, ainsi que les États où l’on trouve un seul gamelan à savoir le New Hampshire, Rhode Island, Delaware, District of Columbia. Le gamelan n’est donc plus aujourd’hui un phénomène proprement californien comme à son origine.

Les gamelan dépendent d’un établissement de l’enseignement supérieur (university, college, school), d’une institution (Naropa Institute, consulat indonésien), ou sont indépendants (se désignant soit sous l’appellation de « communauté » que l’on peut assimiler à un club amateur, soit comme des groupes « professionnels » c’est-à-dire plus orientés vers le concert[19]) :

Type
nombre
pourcentage
Universitaire
59
64 %
Institution
8
9 %
« communauté »
14
15 %
« professionnel »
11
12 %

La majorité des gamelan dépendent d’un établissement de l’enseignement supérieur (64 %). Quelques-uns de ces établissements figurent parmi les plus renommés du pays. Si l’on reprend la liste des 25 plus prestigieuses universités des États-Unis[20], 11 (indiquées par un *) hébergent un gamelan :

1 Harvard
6 MIT*
11 Chicago*
16 Rice
21 Michigan*
2 Stanford
7 Duke
12 Brown*
17 UCLA*
22 Carnegie Mellon
3 Yale
8 Dartmouth*
13 Pennsylvania
18 Virginia*
23 Northwestern
4 Princeton
9 Cornell*
14 UC Berkeley*
19 Georgetown
24 Washington
5 CalTech
10 Columbia
15 Johns Hopkins
20 NC Chapel Hill*
25 Rochester*

Le gamelan n’est donc pas une activité marginale, mais s’inscrit au plus haut niveau du champ universitaire américain.  
On trouve peu de gamelan dans les conservatoires, encore assez strictement spécialisés dans la musique classique. Sur les 10 écoles de musique les plus réputées du pays[21], seules 3 proposent un cours de gamelan : la Eastman School of Music, le Conservatoire d’Oberlin, et l’école de musique de l’Université du Michigan. Dans ces établissements comme dans les universités, la pratique du gamelan est ouverte à tous sans audition.

La plupart des gamelan donnent régulièrement des concerts au niveau local (dans les salles de concert des universités ou dans d’autres lieux culturels) et parfois au niveau international : ainsi en 1986, pendant l’exposition universelle de Vancouver (Canada), a lieu le premier festival international de gamelan, où se rencontrent 11 ensembles de gamelan (dont 8 viennent des États-Unis). Ce festival international sera suivi par plusieurs autres du même type : le « Festival of Indonesia » en 1991, le « Klang von Bronze Gamelan Festival » de Brême (Allemagne) en 1991, le « Planet Gamelan Festival » au Dartmouth College (États-Unis) en 1992, le « Yogyakarta Gamelan Festival » (à Java) qui a lieu chaque année depuis 1995 (sauf en 1998) et le « BEAT : International Gamelan Festival » de Wellington, Nouvelle-Zélande en 1999. Ces festivals sont l’occasion pour une minorité de passionnés de gamelan de divers pays de se rencontrer.

Les gamelan américains interprètent en grande majorité de la musique de Java (et tout spécialement le style de Surakarta), parfois de Bali et plus rarement un autre style (celui de Sunda par exemple). On distingue les ensembles spécialisés dans le répertoire traditionnel (Java, Bali, Sunda) des ensembles ouverts à la création contemporaine (américain en particulier) :

Répertoire
Nombre
Musique traditionnelle uniquement
52
Musique traditionnelle & contemporaine
38
Musique contemporaine uniquement
01
Inconnu
01
Nombre total
92








La quasi-totalité des gamelan américains jouent de la musique traditionnelle indonésienne. 52 gamelan sur 92 ne jouent que de la musique traditionnelle, on les appelle les « puristes », alors que 38 sont ouverts à la création contemporaine. Enfin, un seul semble s’être spécialisé dans la musique contemporaine pour gamelan. Plusieurs compositeurs américains ont écrit occasionnellement pour le gamelan comme John Cage (Haikai), Pauline Oliveros (Lion’s eye), Tom Johnson (The towers of Hanoi) et Virgil Thomson (Gending Chelsea). Certains en ont même fait quasiment une spécialité comme Barbara Benary, Philip Corner, David Demnitz, Jody Diamond, Lou Harrison, Vincent McDermott, Robert Marcht, Dennis Murphy, Jarrad Powell, Daniel Schmidt, Michael Tenzer, Wayne Vitale, Michael Zinn, Evan Ziporyn. Le plus célèbre d’entre eux est Lou Harrison (1917-2003). Celui-ci a écrit plus d’une cinquantaine d’œuvres pour gamelan entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1990, dont plusieurs associent instruments occidentaux au gamelan : un double concerto pour violon, violoncelle & gamelan (1982), une pièce pour saxophone et gamelan intitulée A Cornish Lancaran (1986), un concerto pour piano & gamelan (1987), etc. Cette création pour gamelan a tout d’abord été difficilement acceptée par les « puristes » exclusivement intéressés par le répertoire traditionnel. Marc Perlman, ethnomusicologue spécialiste du gamelan, qui se dit ouvertement “puriste”, accuse dans un article[22] les compositeurs américains de « lisser le son du gamelan » : au niveau de l’accord, il n’y a plus de battements comme dans le gamelan javanais, ce qui est pourtant l’une de ses caractéristiques remarquables. De plus, les compositeurs américains écrivent surtout pour les métallophones du gamelan en supprimant les instruments les plus difficiles à jouer comme le rebab. Pour Perlman, cela enlève tout le charme propre à cette musique. Benjamin Brinner (professeur d’ethnomusicologie à l’Université de Berkeley) critique pareillement les nouvelles compositions pour gamelan qui ne respectent pas le système d’accord propre aux orchestres indonésiens. Brinner a entendu une œuvre de Lou Harrison pour piano et gamelan (probablement son concerto pour piano et gamelan) qui lui a donné le « mal de mer »[23]. Ces « puristes », respectueux du répertoire de Java ou Bali, se sont opposés aux compositeurs dits « syncrétistes » comme Lou Harrison. Mais ce conflit semble s’être beaucoup atténué depuis les années 1990 notamment grâce à l’action de l’American Gamelan Institute qui publie la revue Balungan ouverte aux artistes comme aux ethnomusicologues, anime un forum de discussion sur Internet qui réunit là aussi les deux parties adverses et a édité une série d’enregistrements de musique contemporaine indonésienne (les « puristes » peuvent ainsi se rendre compte que les Indonésiens eux-mêmes ne sont pas opposés à la création contemporaine pour gamelan).

2.2 L’éducation musicale multiculturelle

La multiplication aux États-Unis à partir des années 1970 des orchestres de musique « traditionnelle » comme le gamelan est lié à ce qu’on appelle le « multiculturalisme »[24]. L’anthropologue Peter Wood affirme que le thème de la “diversité” – qui inclut la notion de « multiculturalisme » – est un nouveau discours produit par des intellectuels et diffusé par les médias[25]. Ce discours met en valeur les origines ethniques des individus, les particularités du groupe d’appartenance, et dénonce le modèle du « melting-pot », fusion des groupes et des « races » formant une nation indifférenciée, comme une « imposture » ou un « mythe ». Plus qu’une simple rhétorique, le « multiculturalisme » est aussi une mode : la consommation de produits exotiques (cuisine, musique, art, etc.) obtient un succès croissant aux États-Unis. Selon Peter Wood le goût des Américains a plus changé durant ces 30 dernières années qu’en trois siècles[26]. Cette nouvelle offre de produits culturels variés ne peut pas être expliquée par un changement radical dans la composition de la population américaine. Elle répond simplement à une nouvelle demande d’une partie des Américains. La « diversité » culturelle n’est pas non plus le produit d’un mouvement spontané des groupes ethniques de l’Amérique. Elle résulte, comme nous allons le voir, d’une action politique de valorisation des traditions culturelles. Cette volonté politique de valorisation de la diversité culturelle se concentre spécialement sur l’enseignement.

Une nouvelle spécialité va même voir le jour, l’« éducation multiculturelle ». Si dès les années 1920 on parlait déjà d’« éducation interculturelle » et à la fin des années 1960, on utilise l’appellation « éducation multiethnique », ce n’est que dans les années 1970 que l’on commence à parler aux États-Unis « d’éducation multiculturelle »[27]. L’action du pouvoir central (gouvernement fédéral, Congrès, Cour Suprême) en faveur d’une éducation « multiculturelle » depuis la fin des années 1960 a été déterminante. Tout d’abord en mettant fin au monopole de la langue anglaise dans l’enseignement général, ensuite en encourageant la création de cours « ethniques » puis « multiethniques » et enfin en finançant la recherche universitaire dans la nouvelle discipline qu’est « l’éducation multiculturelle ».
En 1968, le Congrès vote le Bilingual Education Act qui reconnaît les difficultés de certains enfants dont l’anglais n’est pas la langue maternelle et encourage les écoles à trouver des solutions pour répondre à ce problème. Le nouveau Bilingual Education Act voté en 1974, ainsi que l’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis dans l’affaire Lau vs. Nicholas, reconnaît le droit aux enfants d’avoir une éducation scolaire dans leur langue maternelle. Avant 1968, l’anglais était la seule langue enseignée à l’école aux États-Unis. Cela change avec le Bilingual Education Act. On tolère ainsi l’usage de langues « étrangères » dans les cours tout en ayant pour objectif de les remplacer progressivement par l’anglais. Mais à partir des années 1970, l’objet du Bilingual Education Act change : on veut favoriser l’acquisition d’un bon niveau en anglais pour tous les enfants tout en leur permettant de conserver et développer la maîtrise de leur langue maternelle[28]. On passe ainsi d’un programme de rattrapage en anglais à un programme d’acquisition d’une double compétence linguistique.
En 1972, le Congrès vote plusieurs amendements à l’Elementary and Secondary Education Act (ESEA) de 1965. Ces amendements prennent acte de « la diversité ethnique et culturelle du pays ». Un de ces amendements, « Title IX » de l’ESEA, annonce la création de l’« Ethnic Heritage Program ». L’objet de ce programme est d’encourager les écoles élémentaires et secondaires, en collaboration avec les différentes « communautés ethniques », à enseigner l’histoire, la culture ou les traditions de ces communautés. Dès le début des années 1970 on offre des « cours ethniques » (ethnic studies) de l’école primaire à l’université. On enseigne alors l’histoire et les traditions des populations présentes dans ces écoles : la culture espagnole dans les écoles où la présence des enfants d’origine sud-américaine est importante, des cours sur la culture africaine dans les écoles de certains quartiers urbains à forte concentration de Noirs, etc. Après le vote de l’Ethnic Heritage Act (en 1972), on offre à tous la possibilité d’étudier un choix varié de traditions. On crée alors des « études multiethniques » (multiethnic studies). Il va bientôt être possible de découvrir les cultures du monde entier et plus seulement celles rencontrées aux États-Unis.
A partir des années 1970, certains établissements d’enseignement supérieur intègrent des cours d’éducation multiculturelle dans le cursus de formation des enseignants (teacher training). L’État du Montana propose dès 1973 des « études sur les Amérindiens » (Native American studies). En 1990 on dénombre 37 États et le District of Columbia exigeant des compétences en éducation multiculturelle pour le certificat d’enseignant (teaching certification). On offre dès 1973 des cours d’études ethniques dans le cursus scolaire (du primaire ou du secondaire) dans 13 États. En 1979, l’État de l’Iowa impose l’enseignement de « diverses perspectives culturelles » (diverse cultural perspectives) dans toutes les classes. Cet exemple sera suivi par le New York en 1984, le Delaware en 1989 et le Minnesota en 1990[29]. L’éducation multiculturelle est officiellement reconnue par l’American Association of Colleges for Teacher Education en 1972 puis par le National Council for Accreditation of Teacher Education en 1979. Le multiculturalisme est adopté dans l’enseignement supérieur américain, y compris dans les anciennes universités comme Harvard, Columbia, Princeton ou Yale qui offrent des cours sur les cultures non occidentales et ont révisé le contenu des cours de « civilisation contemporaine » pour y inclure par exemple L’autobiographie de Malcom X[30].

Dans le domaine de la musique, avant d’adopter de façon définitive les termes « d’éducation musicale multiculturelle » (multicultural music education), plusieurs appellations étaient en usage : on parlait notamment de « relations internationales dans la musique » (international relations in music) ou de « musique multiethnique ». Il existe dans le domaine de l’« éducation musicale multiculturelle » une littérature déjà très abondante. De nombreux ouvrages se consacrent à la question et nombre d’articles sont publiés dans des revues d’éducation musicale. La naissance de cette « éducation musicale multiculturelle » date de la fin des années 1960. On organise sur ce thème des colloques et séminaires à l’échelle nationale comme le Tanglewood Symposium (1967) ou la Conférence de Seattle (1968). Ces colloques nationaux se multiplient dans les années 1970 (à Chicago en 1970, à Atlanta en 1972, etc.). La Music Educators National Conference, qui réunit chaque année les spécialistes de l’éducation musicale de tout le pays, montre un intérêt croissant pour l’éducation multiculturelle, surtout à partir des années 1980. Le Symposium organisé à la Wesleyan University en 1984, à l’initiative de l’université et de la Music Educators National Conference (MENC), et dirigé par l’ethnomusicologue David McAllester, contribue grandement à donner un rôle de premier plan à l’ethnomusicologie dans la recherche multiculturelle. Après le symposium, un nombre important de spécialistes de l’éducation musicale adhèrent à la Society for Ethnomusicology (SEM). Les ethnomusicologues sont invités à participer aux conférences et aux publications de la MENC[31].
Dans les livres scolaires d’éducation musicale on ajoute des chansons d’origines variées (musiques africaines, amérindiennes, asiatiques). Progressivement on accepte aussi d’enseigner les « musiques populaires » à l’école : en premier lieu le jazz, mais aussi les chansons de Broadway et d’autres formes de musique pop, mais pas le rock – genre jugé illégitime. Le multiculturalisme semble donc faire l’adhésion de nombreux enseignants dans l’enseignement secondaire comme à l’université. Toutefois, cette nouvelle éducation rencontre de grandes résistances dans les conservatoires de musique qui demeurent dévoués à la musique classique.

L’enseignement du gamelan s’inscrit pleinement dans ce nouveau courant pédagogique qu’est l’éducation musicale multiculturelle en offrant à des adultes, des étudiants mais aussi à des enfants la possibilité de découvrir une autre tradition musicale : celle de l’Indonésie. Dès les années 1970, la pratique du gamelan aux États-Unis devient une activité accessible au grand public : des ateliers de gamelan ouverts à tous sont mis en place en dehors des universités ou au sein même des universités[32]. Le gamelan peut séduire le plus grand nombre car il est possible d’apprendre les bases du gamelan et de jouer des pièces simples après seulement deux heures d’initiation.
Jody Diamond, qui enseigne le gamelan en Californie dans les années 1970 et 1980 puis sur la côte Est à partir de 1990, a rédigé en 1979 un mémoire de Master sur la possibilité d’appliquer un « modèle alternatif d’éducation musicale » [33] grâce au gamelan. Dans ce mémoire, elle dénonce les méthodes de pédagogie musicale dispensées dans les conservatoires de musique : l’enseignement y est autoritaire, trop directif et ne viserait qu’à développer la performance individuelle et la compétition. Pour rompre avec ces méthodes il faut adopter un type d’enseignement différent en s’inspirant de ce qui se fait à Bali ou à Java. Grâce au gamelan, Jody Diamond pense pouvoir améliorer les capacités musicales de l’apprenant, d’une part en mettant l’accent sur les méthodes d’enseignement « libératrices », d’autre part en développant les capacités physiques non exploitées en Occident par les musiciens. Pour la pédagogue, le gamelan permet d’établir un rapport inédit entre le musicien et l’ensemble de l’orchestre. Un esprit de cohésion et non de compétition (comme dans un orchestre classique) peut s’instaurer. Cet esprit de cohésion pourrait supplanter selon elle l’esprit individualiste américain. L’enseignant devrait, après quelques leçons, s’intégrer lui-même dans le groupe comme un membre parmi d’autres : en s’effaçant, il détruit le rapport maître-élève trop directif et y substitue un rapport d’égal à égal.
Jody Diamond met ses théories pédagogiques en pratique tout d’abord à Berkeley dans le cadre du Berkeley After School Program de 1979 à 1980. Après cette première expérience, elle offrira des cours d’initiation à plusieurs centaines d’enfants dans d’autres écoles de la Baie de San Francisco. Elle se déplace dans les écoles avec ses instruments pour une intervention dont la durée est très variable (d’une seule journée à plusieurs années)[34].
De même, Barbara Benary, compositrice et ethnomusicologue, donne des cours de gamelan pour les enfants à partir des années 1980. En 1985, elle enseigne à l’école primaire de la Rockland Project School à Valley Cottage (une ville située dans l’État de New York)[35]. D’après elle, les enfants auxquels elle s’adresse ne connaissent presque rien à la musique à part le rock mais très rapidement ils vont s’enthousiasmer pour la musique indonésienne. Après quelques semaines les enfants sont même capables de composer des petites pièces pour gamelan. L’objectif de l’enseignante, proche des idées développées par Jody Diamond, est d’encourager la « coopération » entre les enfants.
Ces exemples montrent que certains professeurs de gamelan ne se contentent pas d’ajouter une touche d’exotisme à un enseignement traditionnel : ils appliquent une pédagogie « alternative » qui modifie à la fois le contenu de l’enseignement et sa forme, en vue de changer les rapports entre les musiciens d’un orchestre et entre l’élève et l’enseignant. Ils espèrent ainsi contribuer plus largement à une réforme de la société américaine (opposition à l’individualisme).

2.3 La « gauche multiculturelle » & la révolution conservatrice

Cette diffusion du gamelan se réalise donc dans un cadre idéologique particulier qu’il peut être intéressant de mettre en rapport avec l’évolution socio-économique et politique du pays pour mieux l’identifier. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale l’Amérique connaissait une période de prospérité, mais à partir de 1973 le revenu moyen de la majorité des Américains cesse de croître. Les inégalités sociales s’accentuent. Avant 1973 le revenu des classes les plus défavorisées tendait à croître plus rapidement que celui des plus aisés, l’évolution s’est inversée depuis. Les écarts de richesse ont particulièrement augmenté sous la présidence de Ronald Reagan (1980-1988)[36].  En 1979 les 1 % les plus riches détenaient 22 % de la richesse nationale, cette part augmente régulièrement pour atteindre 35 % en 2000[37] et dépasser les 40 % en 2004[38].
Quelles sont les raisons de cette accentuation des inégalités sociales ? On avance souvent des explications en termes de « crise » ou de « déclin ». Il est vrai que l’Amérique traverse diverses crises ponctuelles (notamment les « chocs pétroliers » de 1974 et 1979). De même il faut admettre que la puissance américaine connaît un relatif déclin à partir de la fin des années 1960 : sa domination économique est contestée par de nouveaux concurrents, principalement l’Europe de l’Ouest et le Japon. Mais par ailleurs l’économie américaine connaît la plus forte croissance de son histoire durant les années 1990 si bien que Pierre Melandri se demande si les États-Unis ne vivent pas à partir de 1993 une « Renaissance »[39]. Cette croissance économique n’a pourtant aucunement bénéficié aux couches les plus pauvres du pays. Loïc Wacquant constate ainsi que la marginalité, la précarité et la pauvreté tendent à être déconnectées des cycles économiques :

« La misère dans la métropole de l’aube du nouveau siècle résulte non pas de l’arriération, de l’affaiblissement ou du déclin économiques mais de l’écartement de l’échelle des inégalités dans un contexte général de prospérité et d’avancement de l’économie. De fait, l’attribut sans doute le plus énigmatique de la nouvelle marginalité est que celle-ci s’est répandue et durcie à une époque de croissance capricieuse mais solide qui s’est traduite par une élévation généralisée du niveau de vie et une amélioration spectaculaire de la condition des membres les plus privilégiés des sociétés du Premier monde. Nonobstant le discours rituel des personnels politiques sur la « crise » au fil des décennies, les principaux pays capitalistes ont tous vu leur richesse collective augmenter significativement depuis les « chocs pétroliers » des années 1970. A prix constant, le produit intérieur brut des États-Unis a crû de 130 % entre 1975 et 2000 et ceux de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne de 75 % à 80%. Mais l’enrichissement moyen n’a pas empêché le creusement des écarts : l’opulence et l’indigence, le luxe et la pénurie, l’abondance et la nécessité ont fleuri de concert, et même côte à côte. »[40].

Le creusement des inégalités sociales depuis les années 1970 aux États-Unis ne résulte pas de problèmes économiques conjoncturels ou structurels mais de décisions politiques favorables aux classes les plus aisées du pays prises en l’absence d’une réelle opposition de la gauche traditionnelle (Parti Démocrate, syndicats, mouvements ouvriers). Ainsi, dans le cas particulier de la dégradation dramatique des conditions de vie des Afro-Américains,  Loïc Wacquant parle de la transformation du ghetto en un hyperghetto, qui résulte de la transformation de l’économie fondée sur l’industrie à une économie de services, la persistance de la ségrégation résidentielle des Noirs, le retrait de l’État-providence et le changement brutal des politiques urbaines (réduction des budgets consacrés aux services publics dans les ghettos). Loïc Wacquant insiste moins sur les changements structurels de l’économie que sur la volonté politique des élites :

« Nous conclurons en soutenant que, tout bien pesé, ce ne sont pas tant les mécanismes impersonnels des forces macroéconomiques et démographiques que la volonté politique des élites de la ville et du pays, i.e. leur décision d’abandonner le ghetto à ces forces (telles qu’elles ont été politiquement composées), qui rend le plus complètement compte de l’implosion de la Ceinture noire dans les années 1980 et des sinistres perspectives offertes à ses habitants au seuil du nouveau siècle. »[41].

Cet « abandon » des Noirs et plus généralement des classes populaires est à attribuer en partie à un basculement à droite du corps politique. Serge Halimi parle d’un « virage à droite » de l’ensemble des partis américains : « il faut parler non pas d’un simple virage à droite du parti américain le plus à droite (…) mais bien d’un réalignement de l’ensemble des élites politiques toutes formations confondues. »[42]. Ce « grand bond en arrière » pour reprendre l’expression de Serge Halimi ou cette « révolte des élites » selon l’expression de Christopher Lasch[43] peut aussi être défini comme une « révolution conservatrice ». Certains historiens français utilisent l’expression « révolution conservatrice » pour désigner les politiques de la droite réactionnaire américaine comme celle de Ronald Reagan ou George W. Bush[44]. Mais cette expression nous semble aussi tout à fait appropriée pour désigner toutes les politiques menées depuis le début des années 1980 par les gouvernements de droite comme de gauche. Rappelons par exemple que c’est le président démocrate William Clinton qui a fait voter une loi en 1996 réduisant les dépenses sociales de l’État fédéral et surtout imposant des restrictions sur les protections sociales[45]. La présidence de William Clinton ne change pas fondamentalement la politique générale amorcée par Ronald Reagan[46].
A partir de la fin des années 1960, le discours des Démocrates change, le soutien ouvert aux classes populaires cède la place à une « philosophie universaliste » : les généralités humanistes remplacent les vocables trop connotés comme « spéculation », « usure », « oppression ». Serge Halimi parle de peur du radicalisme qui s’instaure dans les rangs du parti démocrate[47]. Sous Jimmy Carter et particulièrement sous William Clinton, les Démocrates prennent leurs distances avec le terme liberal (dont l’équivalent français est le terme « progressiste »)[48]. Certains termes sont bannis, d’autres sont adoptés comme « multiculturel », « diversité » ou « métissage » (hybrid en anglais)[49].
La « diversité » est une notion produite par ce que l’on appelle aux États-Unis la « gauche multiculturelle » ou les « multiculturalistes » (que Peter Wood appelle les « diversiphiles ») mais rapidement cette nouvelle idéologie a été reprise par la droite. Cette « diversité » est évoquée dans toutes les élections par tous les candidats de gauche comme de droite. Récemment, George W. Bush a mis un point d’honneur à former un gouvernement respectant la « diversité raciale ». Le « multiculturalisme » est une notion consensuelle dans le champ politique qui participe au rapprochement idéologique de la gauche et de la droite.

Le « multiculturalisme » joue un double rôle dans la révolution conservatrice aux États-Unis : celui de diversion de la gauche (qui s’engage inconsciemment dans des luttes contraires aux intérêts des classes populaires) et celui de division des classes populaires (dont on valorise les origines particulières au lieu de contribuer à leur donner une « conscience de classe » c’est-à-dire la conscience de partager des intérêts communs).
Le « multiculturalisme » détourne le débat public sur des questions culturelles au détriment des problèmes d’inégalités de classe. D’après Fabien Ollier, l’idéologie multiculturelle a pour effet de « déplacer l’intérêt du politique du champ socio-économique au champ culturel, et de substituer au champ culturel celui d’un différentialisme ethnoculturel prêt à se satisfaire des apartheids. »[50]. Le multiculturalisme, selon Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, est l’une des notions de la « nouvelle vulgate planétaire ». Cette notion renvoie selon eux aux États-Unis :

« à l’exclusion continuée des Noirs et à la crise de la mythologie nationale du “rêve américain” de l’“opportunité pour tous”, corrélative de la banqueroute qui affecte le système d’enseignement public au moment où la compétition pour le capital culturel s’intensifie et où les inégalités de classe s’accroissent de manière vertigineuse. L’adjectif “multiculturel” voile cette crise en la cantonnant artificiellement dans le seul microcosme universitaire et en l’exprimant dans un registre ostensiblement “ethnique”, alors que son véritable enjeu n’est pas la reconnaissance des cultures marginalisées par les canons académiques, mais l’accès aux instruments de (re)production des classes moyenne et supérieure, comme l’université, dans un contexte de désengagement actif et massif de l’État. Le “multiculturalisme” américain n’est ni un concept, ni une théorie, ni un mouvement social ou politique – tout en prétendant être tout cela à la fois. C’est un discours écran dont le statut intellectuel résulte d’un gigantesque effet d’allodoxia national et international qui trompe ceux qui en sont comme ceux qui n’en sont pas » [51].

Une partie des membres du champ culturel s’investissent dans la production d’une « diversité culturelle », la valorisation des cultures du monde et en particulier des traditions des groupes ethniques représentés dans la société américaine. Ils se détournent ainsi des luttes sociales pour s’engager sur le terrain des revendications culturelles (comme celui de l’affirmative action). Cela a pour effet d’accentuer les divisions[52] au sein même des classes populaires. Alberto Alesina et Edward Glaeser rappellent qu’un facteur très important ayant défavorisé la solidarité de classe et l’émergence d’un socialisme à l’américaine plus puissant, est la fragmentation « raciale » et ethnique du pays :

« La haine raciale est souvent utilisée stratégiquement par des hommes politiques dont l’objectif principal est d’éviter des mesures de redistribution ; c’est justement en s’appuyant sur la méfiance créée par l’animosité ethnique que des politiciens entreprenants parviennent à s’assurer le soutien de Blancs même relativement pauvres contre la redistribution. Là où existe une évidente hétérogénéité ethnique, raciale ou religieuse, elle facilite le recours à cette stratégie du « diviser pour régner ». Il en découle que les mesures de redistribution devraient être plus réduites dans les sociétés plus fragmentées, où les élans de générosité sont limités par des clivages raciaux. »[53].

 
Conclusion

Le gamelan aux États-Unis doit son succès à l’engouement récent d’une partie des élites cultivées pour les productions et les pratiques culturelles du monde. L’éducation musicale dite « multiculturelle » offre au public américain un vaste choix d’activités musicales du monde – le gamelan n’étant qu’une pratique parmi d’autres, accessible aux adultes comme aux enfants. Cette nouvelle pédagogie est une traduction dans le champ de l’éducation musicale de la révolution conservatrice qui est au principe de toutes les politiques des gouvernements de droite comme de gauche depuis 1973 et qui a pour principal effet l’accentuation profonde des inégalités sociales dans ce pays. En outre, cette « éducation multiculturelle » faussement révolutionnaire a provoqué une réaction des tenants de l’enseignement traditionnel se faisant désormais les protecteurs d’une « culture occidentale » soi-disant menacée.
Pour comprendre le phénomène d’internationalisation du gamelan il faudrait étudier précisément le contexte socio-historique propre à chacun des pays où se diffuse le gamelan depuis les années 1970. Ainsi, pour reprendre deux exemples évoqués précédemment, il nous semble que le contexte de la diffusion du gamelan en Angleterre paraît assez comparable à celui des États-Unis mais, à l’inverse, on s’explique assez mal le succès de la pratique du gamelan dans un pays comme le Japon. Néanmoins, nous pouvons faire l’hypothèse que la pratique du gamelan, qui s’inscrit pleinement dans ce courant que l’on nomme le « multiculturalisme », se diffuse dans le monde comme les autres éléments de ce que Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant appellent la « nouvelle vulgate planétaire » : à la faveur d’une révolution conservatrice qui s’impose partout dans le monde depuis les années 1970 dans le domaine politico-économique (pensée néolibérale) comme dans celui de la culture.

Référence de l’article :
Laurent Denave, « L’internationalisation de la pratique du gamelan & la révolution conservatrice à la lumière du cas américain », Filigrane n°5, Paris, Delatour, 2007, p. 177-197.

[1] Le gamelan est un terme polysémique qui désigne en Indonésie un ensemble d’instruments (ou orchestre) et une pratique musicale.
[2] Groupes actifs hors d’Indonésie à l’exception de la Malaisie et du Surinam sur lesquels nous ne disposons d’aucune donnée. Les chiffres de ce tableau se basent sur les données disponibles sur le site Internet de l’American Gamelan Institute (www.gamelan.org) ainsi que sur d’autres sources pour chacun des pays citées plus loin. Par groupe actif, nous entendons un groupe de musiciens et non les seuls instruments (tels ceux entreposés dans un musée). Il y a ainsi nettement plus d’ensembles d’instruments (environ 200) que de groupes en activité (moins d’une centaine) aux États-Unis.
[3] 2 gamelan en Suisse et 1 en Autriche, Italie, Belgique, Irlande, Pologne, Espagne, Finlande.
[4] 2 gamelan à Singapour, 1 à Taiwan, en Israël et au Mexique.
[5] L’Indonésie est une ancienne colonie des Pays-Bas (les « Indes néerlandaises ») qui a gagné son indépendance après la seconde guerre mondiale. Plusieurs milliers d’Indonésiens proches du pouvoir colonial ont préféré quitter le pays après l’indépendance.
[6] Même si cette explication ne suffit pas à rendre compte du succès du gamelan en dehors de la communauté indonésienne aux Pays-Bas.
[7] Maria Mendoça, Javanese Gamelan in Britain: Communitas, Affinity and other Stories, PhD., Wesleyan University, 2002, p. 116.
[8] Barbara Benary, « Gamelan, Indonesian Arts in America », Ear Magazine, New York, Vol. 8, No. 4, 1983.
[9] Lou Harrison, in John Luther Adams, “Lou Harrison in Conversation with John L. Adams”, New Music Box, Vol. 0, No. vi, Avril 1999.
[10] Nous n’avons pas de données sur les conditions du transfert de la pratique du gamelan dans certains pays et en particulier l’Allemagne à propos duquel nous n’avons trouvé qu’un article (Dieter Mack, « Gamelan Freiburg », Balungan, Vol. 5, No. 2, 1993) dans lequel on peut tout de même apprendre que le compositeur américain Wayne Vitale a aidé D. Mack à former son groupe de gamelan à Freiburg en 1982.
[11] Sur le gamelan au Japon cf. Morishige Yukitoshi & Nakagawa Shin, « An Informal Chronology of Gamelan in Japan », Balungan, Vol. 3, No 2, October 1988, pp. 15-18. Le site Internet : http://eamusic.dartmouth.edu/~gamelan/directoryjapan.html
[12] Sur le gamelan en Grande-Bretagne cf. Maria Mendoça, Javanese Gamelan in Britain: Communitas, Affinitiy and other Stories, PhD., Wesleyan University, 2002. Jo Hopkin, « Use of Indonesian instruments in London: Performers and Composers in the 1990s », MA, SOAS, University of London, 1997. Neil Sorrell « Gamelan in Britain: the story so far », Balungan, Vol. 4, No. 1, 1989, pp. 19-20. Pour la liste des gamelan britanniques cf. le site Internet http://www.indonesianperformingarts.org/
[13] Le programme se compose de pièces traditionnelles javanaises ainsi que deux compositions pour gamelan et piano : la première de Lou Harrison et la seconde du compositeur anglais Michael Nyman qui compose une pièce spécialement pour l’occasion.
[14] On en trouve actuellement pas moins de 32.
[15] Les premières activités de gamelan en France, au musée de l’Homme et à l’ambassade d’Indonésie, datent des années 1980.  En 1992, la Galerie Sonore d’Angers acquiert un gamelan et offre des cours de gamelan au grand public. Plusieurs autres gamelan existent en France aujourd’hui, notamment à Aix en Provence (gamelan de l'association Adémuse depuis 1992), à Limoux dans l’Aude, à Pantin (gamelan de l’association Musiques de l’ébène créée en 1995) et au Centre de Formation des Musiciens Intervenants de Tours (depuis 2004).
[16] Han Kuo-Huang, « National Institute of the Arts, Taiwan », Balungan, Vol. 3, No 2, October 1988, p. 36.
[17] Sources sur le gamelan en Israël : le site http://eamusic.dartmouth.edu/~gamelan/directoryasia.html
[18] Tous les chiffres indiqués dans cette partie datent de notre étude sur le « champ du gamelan américain », DEA de musicologie, Paris-IV Sorbonne, 2000.
[19] La pratique du gamelan n’est pas une activité professionnelle, les musiciens appartenant à ces ensembles ne gagnent pas leur vie grâce au gamelan, et exercent une profession n’ayant souvent rien à voir avec la musique. Selon Wayne Vitale (responsable actuel du gamelan Sekar Jaya que nous avons rencontré en 2001), il y aurait trois ou quatre personnes aux Etats-Unis qui gagneraient leur vie grâce au gamelan.
[20] Liste établie par le College Guide en 1991 et citée in Olivier Cohen-Steiner, L’enseignement aux Etats-Unis, Paris, Presses universitaires de Nancy, 1993, p. 139.
[21] Ces 10 écoles les plus renommées sont les suivantes : Cleveland Institute of Music ; The Curtis Institute of Music, Philadelphie; Eastman School of Music, Rochester, NY ; Peabody Conservatory of Music, Johns Hopkins University, MD ; The Juilliard School of Music, NY ; Manhattan School of Music, NY ; New England Conservatory of Music, Boston ; Northwestern University, Evanston, IL ; Conservatory of Music, Oberlin College, Ohio ; The School of music at Indiana University, Bloomington ; University of Michigan, Ann Arbor ; San Francisco Conservatory of Music ; Mannes College of Music, New School University, NY.
[22] Marc Perlman, « Gamelan, Indonesian Arts in America », Ear Magazine, New York, Vol. 8, No. 4, 1983, p. 4.
[23] Expression utilisée en français par Benjamin Brinner lors de notre entretien en 2001.
[24] Selon Fred Constant, le terme anglais « multiculturalism » apparaît pour la première fois en 1965, dans un rapport canadien le Report of the Royal Commission on Bilingualism and Biculturalism (cf. Fred Constant Le multiculturalisme, Paris, Flammarion, Dominos, 2000). Pour Denis Lacorne, le terme « multiculturalism », dans la langue anglaise, daterait au moins de 1941, mais les premiers débats utilisant ce terme datent des années 1980-1990 (cf. Denis Lacorne, La crise de l’identité américaine, Du Melting-Pot au multiculturalisme, Paris, Fayard, 1997, p. 19).
[25] Peter Wood, Diversity, The Invention of a Concept, San Francisco, Encounter Books, 2003.
[26] Peter Wood prend l’exemple des restaurants à Boston dont l’offre s’est fortement diversifiée récemment (on propose de la cuisine d’un nombre important de pays). En 2002, 16% environ des restaurants de Boston entrent dans la catégorie « cuisines du monde » (chinoise, espagnole, française, etc.). Cf. Peter Wood, op. cit.
[27] Terese Volk, Music Education and Multiculturalism, New York, Oxford University Press, 1998, p. 4.
[28] Ibid., p. 89.
[29] Ibid., p. 92.
[30] Fred Constant, Le multiculturalisme, Paris, Flammarion, Dominos, 2000, p. 6.
[31] Therese Volk, op. cit., p. 108.
[32] Linda Dobbins par exemple enseigne le gamelan aux enfants âgés de 5 à 12 ans au Mills College de Oakland (Californie) dans les années 1980.
[33] Jody Diamond, Modes of consciousness and the learning process: an alternative model for music education, M.A., San Francisco State University, 1979.
[34] Jody Diamond, « Gamelan Programs for Children From the Cross-Cultural to the Creative », Ear Magazine, New York, Vol. 8, No. 4, 1983, p. 27. Notons que, comme le titre de cet article l’indique, Jody Diamond préfère le terme “cross-cultural” à celui de “multicultural”. Elle ne nous semble pas marquer par là de distance avec le multiculturalisme. Ce dernier terme ne s’est pas encore imposé complètement au début des années 1980, et dans les années 1990 nombre de professeurs de gamelan préfèrent encore celui de « cross-cultural ».
[35] Barbara Benary, « Gamelan at Rockland Project School », Balungan, Vol. 1 No. 3, Spring 1985, p. 13-16.
[36] Comme le rappelle Howard Zinn : « Entre 1977 et 1989, le revenu brut des 1% les plus riches avait augmenté de 77%. En revanche, pour les deux cinquièmes de la population la plus pauvre, il n’y avait eu aucune augmentation. On pouvait au contraire, constater un certain déclin. En outre, en raison de l’évolution du système fiscal en faveur des riches, les 1% les plus riches virent leurs revenus nets augmenter de 87% au cours de la décennie 1980. Pour la même période, le revenu net des quatre cinquièmes de la population avait soit diminué de 5% (au bas de l’échelle des revenus) soit n’avait augmenté que de 8.7%. » (Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002, p. 653).
[37] Bernard Vincent (dir.), Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion, 2001, p. 345.
[38] Serge Halimi, Le grand bond en arrière, Paris, Fayard, 2004, p. 103.
[39] Pierre Melandri, « Une “Renaissance” américaine ? (1993-2000) », in Bernard Vincent (dir.), Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion, 2001, pp. 337-373.
[40] Loïc Wacquant, Parias urbains, Ghetto, Banlieues, État, Paris, La découverte, 2006, pp. 270-271.
[41] Ibid., p. 76.
[42] Serge Halimi, op. cit., p. 70.
[43] Christopher Lasch, La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Paris, Climats, 1996.
[44] Jean-Michel Lacroix intitule ainsi le dernier chapitre de son histoire des États-Unis « la révolution conservatrice de George W. Bush » cf. Jean-Michel Lacroix, Histoire des États-Unis, Paris, PUF, 2006 (3e édition).
[45] Cf. Éveline Thévenard, État et protection sociale aux Etats-Unis, Paris, Ellipses, 2002.
[46] Selon Éveline Thévenard une Nouvelle gauche dite « néolibérale » est née au début des années 1980 : « Au début des années 80, la création du Democratic Leadership Council (qui fondera en 1990 son think-tank) marque l’émergence du courant « néolibéral » au parti démocrate, déterminé à reconquérir la présidence après avoir été écarté pendant douze ans. Ce courant va prendre ses distances avec la politique sociale traditionnelle de la gauche depuis le New Deal – à savoir l’intervention de l’Etat en matière économique et la mise en œuvre de programmes sociaux – pour préconiser, à la place, l’équilibre du budget, une modération des dépenses sociales et une réforme de l’assistance publique incitant les bénéficiaires à travailler. La convergence entre ces positions et celles des Républicains modérés va créer le consensus nécessaire à la réforme de 1996. » (Éveline Thévenard, op. cit., p. 155).
[47] Serge Halimi, op. cit., p. 92.
[48] Comme l’explique Noam Chomsky : « Dans le système politique, le terme « libéral » a rejoint « socialiste » au rayon des mots qui font peur ; dès 1992, le Parti démocrate n’avait guère à se fatiguer en faveur des circonscriptions populaires qu’il avait jadis affirmé représenter. Gore Vidal exagère à peine lorsqu’il décrit le régime politique américain comme un système unipartite à deux ailes droites. » (Noam Chomsky, L’an 501, La conquête continue, Montréal, Ecosociété, 1995, p. 68).
[49] Le parti démocrate devient alors la cible des mouvements radicaux (issus de la jeunesse contestataire des années 1960) et sera discréditée aux yeux de la base du Parti, les ouvriers : « Se voulant le parangon d’une harmonie multiculturelle, le parti démocrate n’invoque pas pour y atteindre le combat social et solidaire d’autrefois, mais la propagation des idées de communauté partagée, de morale universelle, voire de simple « décence », autant de sentiments dont il escompte qu’ils seront imposés par les tribunaux et par les médias davantage que les mobilisations populaires. » Serge Halimi, op. cit., p. 94.
[50] Fabien Ollier, L’idéologie multiculturaliste en France, Entre fascisme et libéralisme, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 19.
[51] Pierre Bourdieu & Loïc Wacquant, « La nouvelle vulgate planétaire », paru dans Le Monde diplomatique, mai 2000, reproduit in Pierre Bourdieu, Interventions, 1961-2001, Marseille, Agone, 2002, pp. 445-446.
[52] Certains opposants au multiculturalisme redoutent une menace de « fragmentation » du pays. Or, comme le remarque très justement Denis Lacorne, le multiculturalisme n’a pas de fondement territorial et ne peut donc pas conduire à une fragmentation territoriale des Etats-Unis (Lacorne, Op. Cit., p. 285). Il n’y a pas de menace de « balkanisation » de la société américaine comme l’annoncent avec effroi ces adversaires du multiculturalisme.
[53] Alberto Alesina & Edward Glaeser, Combattre les inégalités et la pauvreté, Les Etats-Unis face à l’Europe, Paris, Flammarion, 2006 [2004], p. 23.

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