L’internationalisation de la pratique du gamelan & la
révolution conservatrice
à la lumière du cas américain
Résumé :
Comment expliquer l’intérêt soudain pour le gamelan hors d’Indonésie depuis les années 1970 ? Cette pratique musicale s’est tout d’abord diffusée aux États-Unis avant de séduire d’autres pays qui semblent avoir suivi l’exemple américain. La multiplication des ensembles de gamelan s’explique aux États-Unis par la naissance d’un intérêt nouveau pour la « diversité » des cultures du monde (celles de l’Amérique mais aussi celles des autres régions du monde). L’éducation musicale dite « multiculturelle » adoptée depuis une vingtaine d’années offre au public américain un vaste choix d’activités musicales du monde – le gamelan n’étant qu’une pratique parmi d’autres. Cette nouvelle pédagogie est une traduction dans le champ de l’éducation musicale de la révolution conservatrice qui est au principe de toutes les politiques des gouvernements de droite comme de gauche depuis 1973 et qui a pour principal effet l’accentuation profonde des inégalités sociales dans ce pays. Révolution conservatrice qui se propage un peu partout dans le monde depuis une vingtaine d’années.
Comment expliquer l’intérêt soudain pour le gamelan hors d’Indonésie depuis les années 1970 ? Cette pratique musicale s’est tout d’abord diffusée aux États-Unis avant de séduire d’autres pays qui semblent avoir suivi l’exemple américain. La multiplication des ensembles de gamelan s’explique aux États-Unis par la naissance d’un intérêt nouveau pour la « diversité » des cultures du monde (celles de l’Amérique mais aussi celles des autres régions du monde). L’éducation musicale dite « multiculturelle » adoptée depuis une vingtaine d’années offre au public américain un vaste choix d’activités musicales du monde – le gamelan n’étant qu’une pratique parmi d’autres. Cette nouvelle pédagogie est une traduction dans le champ de l’éducation musicale de la révolution conservatrice qui est au principe de toutes les politiques des gouvernements de droite comme de gauche depuis 1973 et qui a pour principal effet l’accentuation profonde des inégalités sociales dans ce pays. Révolution conservatrice qui se propage un peu partout dans le monde depuis une vingtaine d’années.
Depuis les années 1970, la
pratique du gamelan[1]
rencontre un intérêt soudain en dehors de sa terre natale, l’Indonésie. A ce
jour nous avons recensé 313 orchestres de gamelan actifs[2]
hors d’Indonésie : 99 aux États-Unis, 70 en Angleterre, 39 au Japon, 38 aux
Pays-Bas, 18 en Allemagne, 14 en Australie, 9 au Canada, 8 en France, 4 en
Nouvelle-Zélande auxquels il faut ajouter quelques ensembles répartis en Europe[3]
ou ailleurs dans le monde[4].
Cette diffusion n’est pas l’œuvre d’une diaspora indonésienne sauf dans
quelques cas exceptionnels comme en Hollande (où se trouve une petite communauté
d’Indonésiens ayant émigré après la décolonisation[5]),
en Malaisie (en raison de sa proximité géographique et culturelle avec
l’Indonésie) et au Surinam (la Guyane hollandaise où les Hollandais ont fait
venir une main-d’œuvre indonésienne). Il semblerait que dans les autres
orchestres de gamelan formés hors d’Indonésie, la plupart des participants ne soient
pas indonésiens. Le succès du gamelan aux Pays-Bas est sans doute lié à
l’histoire postcoloniale de ce pays[6], mais
comment expliquer l’intérêt soudain pour cette pratique musicale en Amérique,
en Angleterre ou au Japon ? C’est aux États-Unis que l’on trouve
aujourd’hui le plus de gamelan hors d’Indonésie, et c’est en s’inspirant du
modèle américain que des Anglais ou des Japonais ont fondé leur ensemble. C’est
donc à ce pays que nous voulons nous intéresser tout particulièrement. La
première partie de cet article évoquera l’histoire de la diffusion de la
pratique du gamelan aux États-Unis ainsi que dans quelques pays inspirés par
l’exemple américain, la seconde partie donnera quelques raisons du succès de
cette pratique dans ce pays, en particulier le rapport entre gamelan,
« multiculturalisme » et révolution conservatrice.
1. Histoire du gamelan américain et son influence hors des
États-Unis
1.1 La diffusion du gamelan aux États-Unis
Babar Layar est, à notre connaissance,
le premier gamelan fondé en dehors de l’Indonésie. Cet ensemble constitué en
1941 en Hollande (à Haarlem) par quelques Hollandais passionnés par la musique
de Java, demeura actif jusque dans les années 1950[7].
Les musiciens de Babar Layar étudient les travaux des ethnomusicologues (en
particulier ceux de Jaap Kunst, un Hollandais ayant effectué des recherches sur
les musiques indonésiennes) et écoutent des enregistrements pour apprendre le
répertoire javanais. Ce groupe donne des concerts en Hollande et dans toute
l’Europe. Cette initiative ne semble pas avoir fait d’émules en Europe ; elle
a toutefois marqué un jeune étudiant américain, élève de Kunst, Mantle Hood.
Mantle Hood étudie le gamelan à
Java pendant sept années. Il est responsable en 1954 de la création de
l’Institut d’Ethnomusicologie à l’UCLA (University of California at Los
Angeles) et offre le premier enseignement d’ethnomusicologie dans une
université aux États-Unis. En 1955, Mantle Hood fait importer des instruments
d’Indonésie et forme un gamelan avec ses étudiants. La pratique du gamelan est
un complément indispensable à l’étude théorique dispensée dans son séminaire, Mantle
Hood insistant sur la nécessité de pratiquer la musique pour en avoir une
meilleure compréhension. En effet, un ethnomusicologue doit être selon lui capable
de maîtriser plusieurs langues et pratiquer plusieurs musiques d’où l’idée de
« bi-musicalité » avancée par Hood. Cette
« bi-musicalité », ou double compétence musicale, ne s’acquiert selon
lui qu’après un séjour de plusieurs années sur le terrain. La pratique du
gamelan aux États-Unis n’est donc qu’une initiation qui doit trouver son
prolongement dans un long apprentissage en Indonésie.
La
diffusion de la pratique du gamelan aux États-Unis ne se fait pas uniquement
par la voie de l’ethnomusicologie et de Mantle Hood. Ainsi Dennis Murphy,
professeur de composition à l’université de Wisconsin, met en place un atelier
de gamelan à partir de 1957 (grâce à un de ses collègues qui lui fait don des
instruments rapportés après un séjour à Java). Par ailleurs, Murphy fabrique
lui-même tous les instruments d’un orchestre de gamelan en 1960 pour lequel il
va composer plusieurs pièces.
Si Mantle
Hood n’est pas l’unique voie du développement du gamelan américain, son action semble
toutefois la plus déterminante. Un de ses étudiants, Robert Brown, développe un
programme de « world music » à la Wesleyan University de
Middletown dans les années 1960, puis au California
Institute of Arts (CAL Arts) dans les années 1970 et enfin à
l’université de San Diego dans les années 1980. Grâce à ces divers programmes
d’enseignement, de nombreux étudiants s’initient à la pratique du gamelan.
Parmi ces étudiants figure Jody Diamond. Après s’être formée auprès de Robert
Brown, elle enseigne l’ethnomusicologie à CAL Arts de 1970 à 1975 (elle
enseignera ensuite à l’Université de Berkeley, au Mills College, au Goddard
College, et enfin au Dartmouth College). En 1972, elle seconde le
compositeur indonésien K. R. T. Wasitodiningrat (Pak Cokro) qui dirige le
gamelan de CAL Arts. Parmi les élèves de Diamond et Pak Cokro figurent de
futurs fondateurs de gamelan et compositeurs intéressés par ce médium comme Lou
Harrison. Ce dernier s’initie au gamelan en 1975 avec Robert Brown au Center
for World Music à l’université de San Jose. La même année, K. R. T.
Wasitodiningrat demande à Lou Harrison d’écrire de la musique pour gamelan. Les
premières pièces pour gamelan indonésien de Lou Harrison sont créées lors d’un
concert en 1976. Aussitôt après, trois musiciens présents dans la salle, Paul
Dresher, Barbara Benary et Daniel Schmidt vont former leur propre
ensemble : Schmidt et Dresher à l’université de Berkeley ; Benary à
l’université de Rutgers avec l’aide de deux collègues compositeurs (Daniel Goode
et Philip Corner).
Jusqu’à la fin des années 1960,
les ensembles de gamelan restent encore très rares aux États-Unis. Ce n’est que
vers le milieu des années 1970 que la pratique du gamelan va se développer : Mantle
Hood constitue en 1974 un gamelan dans l’université d’Hawaii à Honolulu,
Michael Tenzer forme en 1977 Seker
Jaya, un gamelan qui interprète de la musique balinaise, et Vincent Mc
Dermot forme son propre ensemble en 1980 au
Clark College, pour en citer quelques uns. Le nombre d’ensembles
augmente alors très rapidement. En 1983, on en compte déjà une soixantaine[8].
Ce nombre augmente encore (mais moins rapidement) jusqu’à la fin des années
1980. Il se stabilise entre 90 et 100 ensembles depuis les années 1990.
1.2 Le modèle américain s’exporte
Dans une interview récente, le
compositeur américain Lou Harrison a évoqué la création d’un gamelan en Egypte
(une « nouvelle nation est tombée » selon lui) et parlé avec
amusement « d’impérialisme culturel indonésien »[9]. Sans
avoir la prétention de retracer l’histoire du transfert du gamelan dans tous
les pays[10],
nous voudrions simplement évoquer quelques cas montrant que cette diffusion du
gamelan dans le monde est sans doute moins à attribuer à un « impérialisme
culturel indonésien » qu’à la diffusion du modèle américain. Nous
évoquerons ainsi rapidement la création des premiers ensembles au Japon et en
Angleterre où l’on trouve le plus de gamelan après les États-Unis, et dans quatre
autres pays où nous avons clairement pu établir un lien entre transfert du
gamelan et inspiration du modèle américain (le Canada, Taiwan, Singapour et Israël).
La formation du premier gamelan
au Japon[11]
est à l’initiative du Professeur Koizumi Fumio qui est invité aux États-Unis à
la Wesleyan University en 1967 et 1971. Koizumi Fumio, s’inspirant des
pratiques des étudiants de l’université américaine, met en place des ateliers
de gamelan au Japon. Ces ateliers ont lieu chez lui avec ses propres instruments
de 1971 à 1974. En 1973, l’Université Nationale de Tokyo où il enseigne fait
l’acquisition d’un gamelan (dont les instruments sont importés de Java-Central)
pour son programme d’ethnomusicologie. Quelques étudiants de cette université
se rassemblent pour former un ensemble nommé Lambang Sari. Suivant l’exemple de
l’Université Nationale de Tokyo d’autres universités japonaises vont mettre en
place des ateliers de gamelan : l’Université d’Osaka en 1979, le Kunitachi
College of Music en 1982 (gamelan balinais dirigé par Tsuge Genichi, un
enseignant de l’Université Nationale de Tokyo), etc. Le nombre de gamelan augmente
rapidement à partir des années 1990 pour atteindre le chiffre de 39 ensembles
actifs sur le sol japonais en 2006, dont au moins 13 résident dans une
université.
En 1972, le public anglais a pour
la première fois l’occasion de pratiquer le gamelan grâce au néo-zélandais
Allan Thomas qui prête un ensemble de gamelan au Dartington College et
donne quelques cours aux étudiants de cette institution[12].
En 1976, au Durham Oriental Music Festival on invite un gamelan de Hollande
pour donner un concert. Ce concert remporte un succès notable. L’ambassade
d’Indonésie décide alors de commander un gamelan pour d’éventuels concerts (ce
qui supprime le coût du transport des instruments). Ce gamelan arrive en
Angleterre en 1977. Neil Sorrell, professeur de musique à l’Université de York,
ayant fait ses études aux États-Unis à la Wesleyan University où il a découvert
le gamelan, demande alors la permission à l’ambassade d’Indonésie d’utiliser ce
gamelan avec ses étudiants. L’ambassadeur indonésien, Kapto Sunoto, est très
enthousiasmé par ce projet et par l’idée que des musiciens anglais s’initient à
la pratique du gamelan. Il accède immédiatement à la demande de Neil Sorrell.
Ce dernier organise alors des ateliers d’initiation à la pratique du gamelan
pour ses étudiants de l’université de York, puis pour des étudiants de
l’Université de East Anglia, et une classe de cours pour adultes à Birmingham
dirigée par Jan Steel. Le premier gamelan anglais, l’English Gamelan
Orchestra, est fondé par Neill Sorrell et Jan Steel en 1980. Ils invitent
des amis musiciens et compositeurs à se joindre à eux pour former un groupe de
gamelan permanent, répétant régulièrement à l’ambassade d’Indonésie. Cet
ensemble demeure actif jusqu’en 1983. Dès la première année de son existence,
ce groupe donne un concert[13].
Neil Sorrell obtient de son université (la York University) l’achat d’un
ensemble de gamelan qui arrive de Java en 1982. Au même moment, le Dartington
College commande un gamelan balinais et l’université de Durham achète un
gamelan javanais. Ces trois universités intègrent la pratique musicale
indonésienne dans le cursus universitaire.
En 1983, le gouvernement
indonésien offre un gamelan javanais à l’Université de Cambridge. Un membre de
l’English Gamelan Orchestra, David Posnett, va former un groupe
permanent dans cette université de Cambridge. En 1984, c’est l’Université de
Queen à Belfast qui commande un gamelan balinais. Ce gamelan est acquis par le
département d’anthropologie sociale de cette université et sera dirigé par une
jeune doctoresse en ethnomusicologie, Annette Sanger.
En Angleterre, il y a
actuellement au moins 70 ensembles de gamelan. Tous ces ensembles
(universitaires ou non) organisent des ateliers d’initiation au gamelan ouverts
à tous y compris aux enfants. Maria Mendoça note l’accroissement du nombre de
projets engageant le gamelan avec des établissements du primaire ou du secondaire
depuis les années 1990[14].
Neil Sorrell, qui a donc eu un
rôle déterminant dans la diffusion du gamelan en Angleterre, semble aussi avoir
joué un rôle non négligeable dans l’histoire du gamelan français. En 1993,
Sorrell supervise la création d’un gamelan à la Cité de la Musique, à Paris :
d’une part, il demande au Javanais Tentrem Sarwanto de fabriquer les instruments
du gamelan qu’il nommera Sekar Wandi, d’autre part, il joue et enseigne à la
Cité de la Musique. Sekar Wandi n’est toutefois pas le premier gamelan en
France[15].
Le modèle américain semble avoir
inspiré la création d’ensembles de gamelan dans plusieurs autres pays. Le
premier ensemble de gamelan canadien est fondé par le compositeur canadien Jon
Siddall. Celui-ci étudie la composition au tout début des années 1980 au Mills
College de Oakland (en Californie) avec Lou Harrison. C’est ce dernier qui
lui fait découvrir le gamelan. Siddall aidé par Lou Harrison entreprend alors
de créer au Canada un ensemble de gamelan degung (style de la région
javanaise de Sunda). Il fait l’acquisition en 1983 d’un ensemble d’instruments.
A Toronto, il réunit une dizaine de musiciens intéressés par cette musique et
forme l’Evergreen Club. Les musiciens de l’Evergreen Club donnent
régulièrement des concerts, alternant des pièces du répertoire traditionnel et
de musique contemporaine (plusieurs compositeurs nord-américains ont écrit une
pièce à leur intention et certains membres sont à la fois interprètes et
compositeurs). Andrew Timar, flûtiste de l’Evergreen Club est
responsable de deux autres ensembles de gamelan à Toronto : le Venerable
Son of the Rising Mist et un ensemble qui se réunit au Consulat d’Indonésie
depuis 1995. A l’école de musique de l’University of British Columbia de
Vancouver, un ensemble balinais a été fondé par Michael Tenzer, fondateur du
gamelan californien Sekar Jaya. En dehors de Toronto et Vancouver plusieurs
autres gamelan ont été fondés au Canada depuis (notamment un ensemble à
Montréal).
A Taiwan, c’est aussi l’exemple
américain qui détermine la création d’un ensemble de gamelan. Han Kuo-Huang,
ethnomusicologue, a fait ses études à l’Université de Northwestern. Il étudie
le gamelan au Centre de Musique du Monde à Berkeley. Il devient ensuite
professeur de musique à la Northern Illinois University où il enseigne
le gamelan et la musique chinoise. Il se rend régulièrement à l’Institut
National des Arts de Taiwan où en 1985 il met en place un programme
d’enseignement du gamelan. Il donne lui-même des cours durant l’année
universitaire 1986-1987 avant d’être remplacé par Lee Chien-hui. Selon Han
Kuo-Huang, le gamelan est le « premier ensemble exotique du pays ».
Cela attire l’attention des médias : il doit répondre à huit interviews et
le gamelan est invité dans deux émissions de télévision[16].
En Israël, il n’existe à ce jour
qu’un seul gamelan : l’ensemble de Jérusalem, du département de
musicologie de la Hebrew University of Jerusalem[17].
Cet ensemble a été fondé au tout début des années 1990 par l’ethnomusicologue
américain Benjamin Brinner (responsable actuel du gamelan de l’Université de
Berkeley en Californie). Ce gamelan, principalement composé des étudiants de
l’université, d’anciens étudiants et de quelques membres extérieurs, donne des
concerts à l’Université et parfois en dehors.
2. Le gamelan, le « multiculturalisme » et la révolution
conservatrice aux États-Unis
Penchons-nous maintenant plus attentivement
sur le cas du gamelan américain. Après une rapide présentation des principales
caractéristiques de cette pratique musicale (localisation, répertoire, etc.),
nous rappellerons le contexte socio-historique très particulier dans lequel
s’inscrit le gamelan aux États-Unis.
2.1 La situation actuelle du gamelan aux États-Unis
Le
recensement, établi par l’American Gamelan Institute en juin 2000[18],
donnait un total de 92 gamelan actifs sur le sol américain. On trouve des
groupes de gamelan dans 30 États. Les 10 États où l’on dénombre le plus de
gamelan sont les suivants :
État
|
Nombre de gamelan
|
Californie
|
24
|
Massachusetts
|
7
|
New York
|
7
|
Oregon
|
5
|
Washington
|
4
|
Maryland
|
4
|
Illinois
|
4
|
Colorado
|
3
|
Maine
|
3
|
Virginie
|
3
|
L’État où
le gamelan est le plus représenté est la Californie avec 24 ensembles. On parle
parfois de « pépinière de gamelan sur la côte ouest » : en effet
plus du tiers des gamelan sont situés dans cette partie du pays, soit 33
ensembles (en comptant la Californie, l’Oregon et le Washington). Toutefois, la
concentration de gamelan sur la côte nord-est des États-Unis est aussi très
importante avec un total de 27 ensembles en comptant les États du Maine,
Massachusetts, New York, Maryland (dont le nombre est indiqué dans le tableau),
le Connecticut où l’on trouve deux ensembles, ainsi que les États où l’on trouve
un seul gamelan à savoir le New Hampshire, Rhode Island, Delaware, District of
Columbia. Le gamelan n’est donc plus aujourd’hui un phénomène proprement
californien comme à son origine.
Les gamelan
dépendent d’un établissement de l’enseignement supérieur (university, college, school), d’une institution (Naropa Institute, consulat indonésien), ou sont indépendants (se désignant soit sous l’appellation de
« communauté » que l’on peut assimiler à un club amateur, soit comme des
groupes « professionnels » c’est-à-dire plus orientés vers le concert[19]) :
Type
|
nombre
|
pourcentage
|
Universitaire
|
59
|
64 %
|
Institution
|
8
|
9 %
|
« communauté »
|
14
|
15 %
|
« professionnel »
|
11
|
12 %
|
La majorité
des gamelan dépendent d’un établissement de l’enseignement supérieur (64 %). Quelques-uns
de ces établissements figurent parmi les plus renommés du pays. Si l’on reprend la liste des 25
plus prestigieuses universités des États-Unis[20],
11 (indiquées par un *) hébergent un
gamelan :
1 Harvard
|
6 MIT*
|
11 Chicago*
|
16 Rice
|
21 Michigan*
|
2 Stanford
|
7 Duke
|
12 Brown*
|
17 UCLA*
|
22 Carnegie Mellon
|
3 Yale
|
8 Dartmouth*
|
13 Pennsylvania
|
18 Virginia*
|
23 Northwestern
|
4 Princeton
|
9 Cornell*
|
14 UC Berkeley*
|
19 Georgetown
|
24 Washington
|
5 CalTech
|
10 Columbia
|
15 Johns Hopkins
|
20 NC Chapel Hill*
|
25 Rochester*
|
Le gamelan n’est donc pas une
activité marginale, mais s’inscrit au plus haut niveau du champ universitaire
américain.
On trouve
peu de gamelan dans les conservatoires, encore assez strictement spécialisés
dans la musique classique. Sur les 10 écoles de musique les plus réputées du
pays[21],
seules 3 proposent un cours de gamelan : la Eastman School of Music,
le Conservatoire d’Oberlin, et l’école de musique de l’Université du Michigan. Dans
ces établissements comme dans les universités, la pratique du gamelan est
ouverte à tous sans audition.
La plupart des gamelan donnent
régulièrement des concerts au niveau local (dans les salles de concert des
universités ou dans d’autres lieux culturels) et parfois au niveau
international : ainsi en 1986, pendant l’exposition universelle de
Vancouver (Canada), a lieu le premier festival international de gamelan, où se
rencontrent 11 ensembles de gamelan (dont 8 viennent des États-Unis). Ce festival
international sera suivi par plusieurs autres du même type : le « Festival of Indonesia »
en 1991, le « Klang von Bronze Gamelan Festival » de
Brême (Allemagne) en 1991, le « Planet
Gamelan Festival » au Dartmouth College (États-Unis) en 1992, le « Yogyakarta Gamelan Festival »
(à Java) qui a lieu chaque année depuis 1995 (sauf en 1998) et le
« BEAT : International Gamelan Festival » de Wellington,
Nouvelle-Zélande en 1999. Ces festivals sont l’occasion pour une minorité de
passionnés de gamelan de divers pays de se rencontrer.
Les gamelan américains interprètent
en grande majorité de la musique de Java (et tout spécialement le style de
Surakarta), parfois de Bali et plus rarement un autre style (celui de Sunda par
exemple). On distingue les ensembles spécialisés dans le répertoire
traditionnel (Java, Bali, Sunda) des ensembles ouverts à la création
contemporaine (américain en particulier) :
Répertoire
|
Nombre
|
Musique traditionnelle uniquement
|
52
|
Musique traditionnelle & contemporaine
|
38
|
Musique contemporaine uniquement
|
01
|
Inconnu
|
01
|
Nombre total
|
92
|
La quasi-totalité des gamelan américains jouent de la musique traditionnelle indonésienne. 52 gamelan sur 92 ne jouent que de la musique traditionnelle, on les appelle les « puristes », alors que 38 sont ouverts à la création contemporaine. Enfin, un seul semble s’être spécialisé dans la musique contemporaine pour gamelan. Plusieurs compositeurs américains ont écrit occasionnellement pour le gamelan comme John Cage (Haikai), Pauline Oliveros (Lion’s eye), Tom Johnson (The towers of Hanoi) et Virgil Thomson (Gending Chelsea). Certains en ont même fait quasiment une spécialité comme Barbara Benary, Philip Corner, David Demnitz, Jody Diamond, Lou Harrison, Vincent McDermott, Robert Marcht, Dennis Murphy, Jarrad Powell, Daniel Schmidt, Michael Tenzer, Wayne Vitale, Michael Zinn, Evan Ziporyn. Le plus célèbre d’entre eux est Lou Harrison (1917-2003). Celui-ci a écrit plus d’une cinquantaine d’œuvres pour gamelan entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1990, dont plusieurs associent instruments occidentaux au gamelan : un double concerto pour violon, violoncelle & gamelan (1982), une pièce pour saxophone et gamelan intitulée A Cornish Lancaran (1986), un concerto pour piano & gamelan (1987), etc. Cette création pour gamelan a tout d’abord été difficilement acceptée par les « puristes » exclusivement intéressés par le répertoire traditionnel. Marc Perlman, ethnomusicologue spécialiste du gamelan, qui se dit ouvertement “puriste”, accuse dans un article[22] les compositeurs américains de « lisser le son du gamelan » : au niveau de l’accord, il n’y a plus de battements comme dans le gamelan javanais, ce qui est pourtant l’une de ses caractéristiques remarquables. De plus, les compositeurs américains écrivent surtout pour les métallophones du gamelan en supprimant les instruments les plus difficiles à jouer comme le rebab. Pour Perlman, cela enlève tout le charme propre à cette musique. Benjamin Brinner (professeur d’ethnomusicologie à l’Université de Berkeley) critique pareillement les nouvelles compositions pour gamelan qui ne respectent pas le système d’accord propre aux orchestres indonésiens. Brinner a entendu une œuvre de Lou Harrison pour piano et gamelan (probablement son concerto pour piano et gamelan) qui lui a donné le « mal de mer »[23]. Ces « puristes », respectueux du répertoire de Java ou Bali, se sont opposés aux compositeurs dits « syncrétistes » comme Lou Harrison. Mais ce conflit semble s’être beaucoup atténué depuis les années 1990 notamment grâce à l’action de l’American Gamelan Institute qui publie la revue Balungan ouverte aux artistes comme aux ethnomusicologues, anime un forum de discussion sur Internet qui réunit là aussi les deux parties adverses et a édité une série d’enregistrements de musique contemporaine indonésienne (les « puristes » peuvent ainsi se rendre compte que les Indonésiens eux-mêmes ne sont pas opposés à la création contemporaine pour gamelan).
2.2 L’éducation musicale multiculturelle
La multiplication aux États-Unis
à partir des années 1970 des orchestres de musique « traditionnelle »
comme le gamelan est lié à ce qu’on appelle le « multiculturalisme »[24].
L’anthropologue Peter Wood affirme que le thème de la “diversité” – qui inclut
la notion de « multiculturalisme » – est un nouveau discours produit
par des intellectuels et diffusé par les médias[25].
Ce discours met en valeur les origines ethniques des individus, les
particularités du groupe d’appartenance, et dénonce le modèle du
« melting-pot », fusion des groupes et des « races »
formant une nation indifférenciée, comme une « imposture » ou un
« mythe ». Plus qu’une simple rhétorique, le
« multiculturalisme » est aussi une mode : la consommation de
produits exotiques (cuisine, musique, art, etc.) obtient un succès croissant
aux États-Unis. Selon Peter Wood le goût des Américains a plus changé durant
ces 30 dernières années qu’en trois siècles[26].
Cette nouvelle offre de produits culturels variés ne peut pas être expliquée
par un changement radical dans la composition de la population américaine. Elle
répond simplement à une nouvelle demande d’une partie des Américains. La
« diversité » culturelle n’est pas non plus le produit d’un mouvement
spontané des groupes ethniques de l’Amérique. Elle résulte, comme nous allons le
voir, d’une action politique de valorisation des traditions culturelles. Cette
volonté politique de valorisation de la diversité culturelle se concentre
spécialement sur l’enseignement.
Une nouvelle spécialité va même
voir le jour, l’« éducation multiculturelle ». Si dès les années 1920
on parlait déjà d’« éducation interculturelle » et à la fin des
années 1960, on utilise l’appellation « éducation multiethnique », ce
n’est que dans les années 1970 que l’on commence à parler aux États-Unis
« d’éducation multiculturelle »[27].
L’action du pouvoir central (gouvernement fédéral, Congrès, Cour Suprême) en
faveur d’une éducation « multiculturelle » depuis la fin des années
1960 a été déterminante. Tout d’abord en mettant fin au monopole de la langue
anglaise dans l’enseignement général, ensuite en encourageant la création de
cours « ethniques » puis « multiethniques » et enfin en
finançant la recherche universitaire dans la nouvelle discipline qu’est
« l’éducation multiculturelle ».
En 1968, le Congrès vote le Bilingual
Education Act qui reconnaît les difficultés de certains enfants dont
l’anglais n’est pas la langue maternelle et encourage les écoles à trouver des
solutions pour répondre à ce problème. Le nouveau Bilingual Education Act
voté en 1974, ainsi que l’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis dans
l’affaire Lau vs. Nicholas, reconnaît le droit aux enfants d’avoir une
éducation scolaire dans leur langue maternelle. Avant 1968, l’anglais était la
seule langue enseignée à l’école aux États-Unis. Cela change avec le Bilingual
Education Act. On tolère ainsi l’usage de langues « étrangères »
dans les cours tout en ayant pour objectif de les remplacer progressivement par
l’anglais. Mais à partir des années 1970, l’objet du Bilingual Education Act
change : on veut favoriser l’acquisition d’un bon niveau en anglais pour tous
les enfants tout en leur permettant de conserver et développer la maîtrise de
leur langue maternelle[28].
On passe ainsi d’un programme de rattrapage en anglais à un programme
d’acquisition d’une double compétence linguistique.
En 1972, le Congrès vote
plusieurs amendements à l’Elementary and Secondary Education Act (ESEA)
de 1965. Ces amendements prennent acte de « la diversité ethnique et
culturelle du pays ». Un de ces amendements, « Title IX »
de l’ESEA, annonce la création de l’« Ethnic Heritage Program ».
L’objet de ce programme est d’encourager les écoles élémentaires et
secondaires, en collaboration avec les différentes « communautés
ethniques », à enseigner l’histoire, la culture ou les traditions de ces communautés.
Dès le début des années 1970 on offre des « cours ethniques » (ethnic
studies) de l’école primaire à l’université. On enseigne alors l’histoire
et les traditions des populations présentes dans ces écoles : la culture
espagnole dans les écoles où la présence des enfants d’origine sud-américaine
est importante, des cours sur la culture africaine dans les écoles de certains
quartiers urbains à forte concentration de Noirs, etc. Après le vote de l’Ethnic
Heritage Act (en 1972), on offre à tous la possibilité d’étudier un choix
varié de traditions. On crée alors des « études multiethniques » (multiethnic
studies). Il va bientôt être possible de découvrir les cultures du monde
entier et plus seulement celles rencontrées aux États-Unis.
A partir des années 1970,
certains établissements d’enseignement supérieur intègrent des cours
d’éducation multiculturelle dans le cursus de formation des enseignants (teacher
training). L’État du Montana propose dès 1973 des « études sur les
Amérindiens » (Native American studies). En 1990 on dénombre 37 États
et le District of Columbia exigeant des compétences en éducation
multiculturelle pour le certificat d’enseignant (teaching certification).
On offre dès 1973 des cours d’études ethniques dans le cursus scolaire (du
primaire ou du secondaire) dans 13 États. En 1979, l’État de l’Iowa impose
l’enseignement de « diverses perspectives culturelles » (diverse
cultural perspectives) dans toutes les classes. Cet exemple sera suivi par
le New York en 1984, le Delaware en 1989 et le Minnesota en 1990[29].
L’éducation multiculturelle est officiellement reconnue par l’American
Association of Colleges for Teacher Education en 1972 puis par le National
Council for Accreditation of Teacher Education en 1979. Le multiculturalisme
est adopté dans l’enseignement supérieur américain, y compris dans les
anciennes universités comme Harvard, Columbia, Princeton ou Yale qui offrent
des cours sur les cultures non occidentales et ont révisé le contenu des cours
de « civilisation contemporaine » pour y inclure par exemple L’autobiographie
de Malcom X[30].
Dans le domaine de la musique,
avant d’adopter de façon définitive les termes « d’éducation musicale
multiculturelle » (multicultural music education), plusieurs
appellations étaient en usage : on parlait notamment de « relations
internationales dans la musique » (international relations in music)
ou de « musique multiethnique ». Il existe dans le domaine de
l’« éducation musicale multiculturelle » une littérature déjà très
abondante. De nombreux ouvrages se consacrent à la question et nombre
d’articles sont publiés dans des revues d’éducation musicale. La naissance de
cette « éducation musicale multiculturelle » date de la fin des
années 1960. On organise sur ce thème des colloques et séminaires à l’échelle
nationale comme le Tanglewood Symposium (1967) ou la Conférence de Seattle
(1968). Ces colloques nationaux se multiplient dans les années 1970 (à Chicago
en 1970, à Atlanta en 1972, etc.). La Music Educators National Conference,
qui réunit chaque année les spécialistes de l’éducation musicale de tout le
pays, montre un intérêt croissant pour l’éducation multiculturelle, surtout à
partir des années 1980. Le Symposium organisé à la Wesleyan University
en 1984, à l’initiative de l’université et de la Music Educators National
Conference (MENC), et dirigé par l’ethnomusicologue David McAllester,
contribue grandement à donner un rôle de premier plan à l’ethnomusicologie dans
la recherche multiculturelle. Après le symposium, un nombre important de
spécialistes de l’éducation musicale adhèrent à la Society for
Ethnomusicology (SEM). Les ethnomusicologues sont invités à participer aux
conférences et aux publications de la MENC[31].
Dans les livres scolaires
d’éducation musicale on ajoute des chansons d’origines variées (musiques
africaines, amérindiennes, asiatiques). Progressivement on accepte aussi
d’enseigner les « musiques populaires » à l’école : en premier
lieu le jazz, mais aussi les chansons de Broadway et d’autres formes de musique
pop, mais pas le rock – genre jugé illégitime. Le multiculturalisme semble donc
faire l’adhésion de nombreux enseignants dans l’enseignement secondaire comme à
l’université. Toutefois, cette nouvelle éducation rencontre de grandes
résistances dans les conservatoires de musique qui demeurent dévoués à la
musique classique.
L’enseignement du gamelan s’inscrit
pleinement dans ce nouveau courant pédagogique qu’est l’éducation musicale
multiculturelle en offrant à des adultes, des étudiants mais aussi à des
enfants la possibilité de découvrir une autre tradition musicale : celle
de l’Indonésie. Dès les années 1970, la pratique du gamelan aux États-Unis devient
une activité accessible au grand public : des ateliers de gamelan ouverts
à tous sont mis en place en dehors des universités ou au sein même des
universités[32].
Le gamelan peut séduire le plus grand nombre car il est possible d’apprendre
les bases du gamelan et de jouer des pièces simples après seulement deux heures
d’initiation.
Jody Diamond, qui enseigne le gamelan
en Californie dans les années 1970 et 1980 puis sur la côte Est à partir de
1990, a rédigé en 1979 un mémoire de Master sur la possibilité d’appliquer un
« modèle alternatif d’éducation musicale » [33]
grâce au gamelan. Dans ce mémoire, elle dénonce les méthodes de pédagogie
musicale dispensées dans les conservatoires de musique : l’enseignement y
est autoritaire, trop directif et ne viserait qu’à développer la performance individuelle
et la compétition. Pour rompre avec ces méthodes il faut adopter un type
d’enseignement différent en s’inspirant de ce qui se fait à Bali ou à Java. Grâce
au gamelan, Jody Diamond pense pouvoir améliorer les capacités musicales de
l’apprenant, d’une part en mettant l’accent sur les méthodes d’enseignement « libératrices »,
d’autre part en développant les capacités physiques non exploitées en Occident
par les musiciens. Pour la pédagogue, le gamelan permet d’établir un rapport
inédit entre le musicien et l’ensemble de l’orchestre. Un esprit de cohésion et
non de compétition (comme dans un orchestre classique) peut s’instaurer. Cet
esprit de cohésion pourrait supplanter selon elle l’esprit individualiste
américain. L’enseignant devrait, après quelques leçons, s’intégrer lui-même
dans le groupe comme un membre parmi d’autres : en s’effaçant, il détruit
le rapport maître-élève trop directif et y substitue un rapport d’égal à égal.
Jody Diamond met ses théories
pédagogiques en pratique tout d’abord à Berkeley dans le cadre du Berkeley
After School Program de 1979 à 1980. Après cette première expérience, elle
offrira des cours d’initiation à plusieurs centaines d’enfants dans d’autres
écoles de la Baie de San Francisco. Elle se déplace dans les écoles avec ses
instruments pour une intervention dont la durée est très variable (d’une seule
journée à plusieurs années)[34].
De même, Barbara Benary,
compositrice et ethnomusicologue, donne des cours de gamelan pour les enfants à
partir des années 1980. En 1985, elle enseigne à l’école primaire de la Rockland
Project School à Valley Cottage (une ville située dans l’État de New York)[35].
D’après elle, les enfants auxquels elle s’adresse ne connaissent
presque rien à la musique à part le rock mais très rapidement ils vont
s’enthousiasmer pour la musique indonésienne. Après quelques semaines les enfants
sont même capables de composer des petites pièces pour gamelan. L’objectif de
l’enseignante, proche des idées développées par Jody Diamond, est d’encourager
la « coopération » entre les enfants.
Ces exemples montrent que certains
professeurs de gamelan ne se contentent pas d’ajouter une touche d’exotisme à
un enseignement traditionnel : ils appliquent une pédagogie
« alternative » qui modifie à la fois le contenu de l’enseignement et
sa forme, en vue de changer les rapports entre les musiciens d’un orchestre et
entre l’élève et l’enseignant. Ils espèrent ainsi contribuer plus largement à une
réforme de la société américaine (opposition à l’individualisme).
2.3 La « gauche multiculturelle » & la révolution
conservatrice
Cette diffusion du gamelan se réalise
donc dans un cadre idéologique particulier qu’il peut être intéressant de
mettre en rapport avec l’évolution socio-économique et politique du pays pour
mieux l’identifier. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale l’Amérique
connaissait une période de prospérité, mais à partir de 1973 le revenu moyen de
la majorité des Américains cesse de croître. Les inégalités sociales
s’accentuent. Avant 1973 le revenu des classes les plus défavorisées tendait à
croître plus rapidement que celui des plus aisés, l’évolution s’est inversée
depuis. Les écarts de richesse ont particulièrement augmenté sous la présidence
de Ronald Reagan (1980-1988)[36]. En 1979 les 1 % les plus riches détenaient 22
% de la richesse nationale, cette part augmente régulièrement pour atteindre 35
% en 2000[37]
et dépasser les 40 % en 2004[38].
Quelles sont les raisons de cette
accentuation des inégalités sociales ? On avance souvent des explications
en termes de « crise » ou de « déclin ». Il est vrai que l’Amérique
traverse diverses crises ponctuelles (notamment les « chocs pétroliers »
de 1974 et 1979). De même il faut admettre que la puissance américaine connaît
un relatif déclin à partir de la fin des années 1960 : sa domination économique
est contestée par de nouveaux concurrents, principalement l’Europe de l’Ouest et
le Japon. Mais par ailleurs l’économie américaine connaît la plus forte
croissance de son histoire durant les années 1990 si bien que Pierre Melandri
se demande si les États-Unis ne vivent pas à partir de 1993 une
« Renaissance »[39].
Cette croissance économique n’a pourtant aucunement bénéficié aux couches les
plus pauvres du pays. Loïc Wacquant constate ainsi que la marginalité, la
précarité et la pauvreté tendent à être déconnectées des cycles économiques :
« La misère dans la métropole de l’aube du
nouveau siècle résulte non pas de l’arriération, de l’affaiblissement ou du
déclin économiques mais de l’écartement de l’échelle des inégalités dans un
contexte général de prospérité et d’avancement de l’économie. De fait, l’attribut
sans doute le plus énigmatique de la nouvelle marginalité est que celle-ci
s’est répandue et durcie à une époque de croissance capricieuse mais solide qui
s’est traduite par une élévation généralisée du niveau de vie et une
amélioration spectaculaire de la condition des membres les plus privilégiés des
sociétés du Premier monde. Nonobstant le discours rituel des personnels
politiques sur la « crise » au fil des décennies, les principaux pays
capitalistes ont tous vu leur richesse collective augmenter significativement
depuis les « chocs pétroliers » des années 1970. A prix constant, le
produit intérieur brut des États-Unis a crû de 130 % entre 1975 et 2000 et ceux
de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne de 75 % à 80%. Mais
l’enrichissement moyen n’a pas empêché le creusement des écarts :
l’opulence et l’indigence, le luxe et la pénurie, l’abondance et la nécessité
ont fleuri de concert, et même côte à côte. »[40].
Le creusement des inégalités
sociales depuis les années 1970 aux États-Unis ne résulte pas de problèmes
économiques conjoncturels ou structurels mais de décisions politiques
favorables aux classes les plus aisées du pays prises en l’absence d’une réelle
opposition de la gauche traditionnelle (Parti Démocrate, syndicats, mouvements
ouvriers). Ainsi, dans le cas particulier de la dégradation dramatique des
conditions de vie des Afro-Américains, Loïc
Wacquant parle de la transformation du ghetto en un hyperghetto, qui
résulte de la transformation de l’économie fondée sur l’industrie à une économie
de services, la persistance de la ségrégation résidentielle des Noirs, le
retrait de l’État-providence et le changement brutal des politiques urbaines
(réduction des budgets consacrés aux services publics dans les ghettos). Loïc
Wacquant insiste moins sur les changements structurels de l’économie que sur la
volonté politique des élites :
« Nous conclurons en soutenant que, tout bien
pesé, ce ne sont pas tant les mécanismes impersonnels des forces
macroéconomiques et démographiques que la volonté politique des élites de la
ville et du pays, i.e. leur décision d’abandonner le ghetto à ces
forces (telles qu’elles ont été politiquement composées), qui rend le plus
complètement compte de l’implosion de la Ceinture noire dans les années 1980 et
des sinistres perspectives offertes à ses habitants au seuil du nouveau
siècle. »[41].
Cet « abandon » des
Noirs et plus généralement des classes populaires est à attribuer en partie à un
basculement à droite du corps politique. Serge Halimi parle d’un « virage
à droite » de l’ensemble des partis américains : « il faut
parler non pas d’un simple virage à droite du parti américain le plus à droite
(…) mais bien d’un réalignement de l’ensemble des élites politiques toutes
formations confondues. »[42].
Ce « grand bond en arrière » pour reprendre l’expression de Serge
Halimi ou cette « révolte des élites » selon l’expression de
Christopher Lasch[43] peut
aussi être défini comme une « révolution conservatrice ». Certains
historiens français utilisent l’expression « révolution conservatrice »
pour désigner les politiques de la droite réactionnaire américaine comme celle
de Ronald Reagan ou George W. Bush[44].
Mais cette expression nous semble aussi tout à fait appropriée pour désigner toutes
les politiques menées depuis le début des années 1980 par les gouvernements de
droite comme de gauche. Rappelons par exemple que c’est le président démocrate
William Clinton qui a fait voter une loi en 1996 réduisant les dépenses
sociales de l’État fédéral et surtout imposant des restrictions sur les protections
sociales[45].
La présidence de William Clinton ne change pas fondamentalement la politique
générale amorcée par Ronald Reagan[46].
A partir de la fin des années
1960, le discours des Démocrates change, le soutien ouvert aux classes populaires
cède la place à une « philosophie universaliste » : les
généralités humanistes remplacent les vocables trop connotés comme
« spéculation », « usure », « oppression ». Serge
Halimi parle de peur du radicalisme qui s’instaure dans les rangs du parti
démocrate[47].
Sous Jimmy Carter et particulièrement sous William Clinton, les Démocrates
prennent leurs distances avec le terme liberal (dont l’équivalent
français est le terme « progressiste »)[48].
Certains termes sont bannis, d’autres sont adoptés comme
« multiculturel », « diversité » ou « métissage »
(hybrid en anglais)[49].
La « diversité » est
une notion produite par ce que l’on appelle aux États-Unis la « gauche
multiculturelle » ou les « multiculturalistes » (que Peter Wood
appelle les « diversiphiles ») mais rapidement cette nouvelle
idéologie a été reprise par la droite. Cette « diversité » est
évoquée dans toutes les élections par tous les candidats de gauche comme de
droite. Récemment, George W. Bush a mis un point d’honneur à former un
gouvernement respectant la « diversité raciale ». Le
« multiculturalisme » est une notion consensuelle dans le champ
politique qui participe au rapprochement idéologique de la gauche et de la
droite.
Le
« multiculturalisme » joue un double rôle dans la révolution
conservatrice aux États-Unis : celui de diversion de la gauche (qui
s’engage inconsciemment dans des luttes contraires aux intérêts des classes
populaires) et celui de division des classes populaires (dont on
valorise les origines particulières au lieu de contribuer à leur donner une
« conscience de classe » c’est-à-dire la conscience de partager des
intérêts communs).
Le
« multiculturalisme » détourne le débat public sur des questions
culturelles au détriment des problèmes d’inégalités de classe. D’après Fabien
Ollier, l’idéologie multiculturelle a pour effet de « déplacer l’intérêt
du politique du champ socio-économique au champ culturel, et de substituer au
champ culturel celui d’un différentialisme ethnoculturel prêt à se satisfaire
des apartheids. »[50].
Le multiculturalisme, selon Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, est l’une des
notions de la « nouvelle vulgate planétaire ». Cette notion renvoie
selon eux aux États-Unis :
« à l’exclusion continuée des Noirs et à la crise
de la mythologie nationale du “rêve américain” de l’“opportunité pour tous”,
corrélative de la banqueroute qui affecte le système d’enseignement public au
moment où la compétition pour le capital culturel s’intensifie et où les
inégalités de classe s’accroissent de manière vertigineuse. L’adjectif
“multiculturel” voile cette crise en la cantonnant artificiellement dans le
seul microcosme universitaire et en l’exprimant dans un registre ostensiblement
“ethnique”, alors que son véritable enjeu n’est pas la reconnaissance des
cultures marginalisées par les canons académiques, mais l’accès aux instruments
de (re)production des classes moyenne et supérieure, comme l’université, dans
un contexte de désengagement actif et massif de l’État. Le “multiculturalisme”
américain n’est ni un concept, ni une théorie, ni un mouvement social ou
politique – tout en prétendant être tout cela à la fois. C’est un discours
écran dont le statut intellectuel résulte d’un gigantesque effet d’allodoxia
national et international qui trompe ceux qui en sont comme ceux qui n’en sont
pas » [51].
Une partie des membres du champ
culturel s’investissent dans la production d’une « diversité
culturelle », la valorisation des cultures du monde et en particulier des
traditions des groupes ethniques représentés dans la société américaine. Ils se
détournent ainsi des luttes sociales pour s’engager sur le terrain des
revendications culturelles (comme celui de l’affirmative action). Cela a
pour effet d’accentuer les divisions[52]
au sein même des classes populaires. Alberto Alesina et Edward Glaeser
rappellent qu’un facteur très important ayant défavorisé la solidarité de
classe et l’émergence d’un socialisme à l’américaine plus puissant, est la
fragmentation « raciale » et ethnique du pays :
« La haine raciale est souvent utilisée
stratégiquement par des hommes politiques dont l’objectif principal est
d’éviter des mesures de redistribution ; c’est justement en s’appuyant sur
la méfiance créée par l’animosité ethnique que des politiciens entreprenants
parviennent à s’assurer le soutien de Blancs même relativement pauvres contre
la redistribution. Là où existe une évidente hétérogénéité ethnique, raciale ou
religieuse, elle facilite le recours à cette stratégie du « diviser pour
régner ». Il en découle que les mesures de redistribution devraient être plus
réduites dans les sociétés plus fragmentées, où les élans de générosité sont
limités par des clivages raciaux. »[53].
Conclusion
Le gamelan aux États-Unis doit
son succès à l’engouement récent d’une partie des élites cultivées pour les
productions et les pratiques culturelles du monde. L’éducation musicale dite
« multiculturelle » offre au public américain un vaste choix
d’activités musicales du monde – le gamelan n’étant qu’une pratique parmi
d’autres, accessible aux adultes comme aux enfants. Cette nouvelle pédagogie
est une traduction dans le champ de l’éducation musicale de la révolution
conservatrice qui est au principe de toutes les politiques des gouvernements de
droite comme de gauche depuis 1973 et qui a pour principal effet l’accentuation
profonde des inégalités sociales dans ce pays. En outre, cette « éducation
multiculturelle » faussement révolutionnaire a provoqué une réaction des
tenants de l’enseignement traditionnel se faisant désormais les protecteurs
d’une « culture occidentale » soi-disant menacée.
Pour comprendre le phénomène d’internationalisation
du gamelan il faudrait étudier précisément le contexte socio-historique propre
à chacun des pays où se diffuse le gamelan depuis les années 1970. Ainsi, pour
reprendre deux exemples évoqués précédemment, il nous semble que le contexte de
la diffusion du gamelan en Angleterre paraît assez comparable à celui des États-Unis
mais, à l’inverse, on s’explique assez mal le succès de la pratique du gamelan
dans un pays comme le Japon. Néanmoins, nous pouvons faire l’hypothèse que la
pratique du gamelan, qui s’inscrit pleinement dans ce courant que l’on nomme le
« multiculturalisme », se diffuse dans le monde comme les autres
éléments de ce que Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant appellent la
« nouvelle vulgate planétaire » : à la faveur d’une révolution
conservatrice qui s’impose partout dans le monde depuis les années 1970 dans le
domaine politico-économique (pensée néolibérale) comme dans celui de la
culture.
Référence de l’article :
Laurent Denave, « L’internationalisation de
la pratique du gamelan & la révolution conservatrice à la lumière du
cas américain », Filigrane n°5, Paris, Delatour, 2007, p. 177-197.
[1]
Le gamelan est un terme polysémique qui désigne en Indonésie un ensemble
d’instruments (ou orchestre) et une pratique musicale.
[2] Groupes
actifs hors d’Indonésie à l’exception de la Malaisie et du Surinam sur lesquels
nous ne disposons d’aucune donnée. Les chiffres de ce tableau se basent sur les
données disponibles sur le site Internet de l’American Gamelan Institute
(www.gamelan.org) ainsi que sur d’autres sources pour chacun des pays citées
plus loin. Par groupe actif, nous entendons un groupe de musiciens et non les
seuls instruments (tels ceux entreposés dans un musée). Il y a ainsi nettement
plus d’ensembles d’instruments (environ 200) que de groupes en activité (moins
d’une centaine) aux États-Unis.
[3] 2 gamelan en Suisse et 1 en Autriche, Italie,
Belgique, Irlande, Pologne, Espagne, Finlande.
[4] 2 gamelan à Singapour, 1 à Taiwan, en Israël et au
Mexique.
[5]
L’Indonésie est une ancienne colonie des Pays-Bas (les « Indes
néerlandaises ») qui a gagné son indépendance après la seconde guerre
mondiale. Plusieurs milliers d’Indonésiens proches du pouvoir colonial ont
préféré quitter le pays après l’indépendance.
[6]
Même si cette explication ne suffit pas à rendre compte du succès du gamelan en
dehors de la communauté indonésienne aux Pays-Bas.
[7] Maria Mendoça, Javanese Gamelan
in Britain:
Communitas, Affinity and other Stories, PhD., Wesleyan University,
2002, p. 116.
[8] Barbara Benary, « Gamelan,
Indonesian Arts in America
», Ear Magazine, New York,
Vol. 8, No. 4, 1983.
[9] Lou Harrison, in John
Luther Adams, “Lou Harrison in Conversation with John L. Adams”, New Music
Box, Vol. 0, No. vi, Avril 1999.
[10] Nous
n’avons pas de données sur les conditions du transfert de la pratique du
gamelan dans certains pays et en particulier l’Allemagne à propos duquel nous
n’avons trouvé qu’un article (Dieter Mack, « Gamelan Freiburg », Balungan,
Vol. 5, No. 2, 1993) dans lequel on peut tout de même apprendre que le
compositeur américain Wayne Vitale a aidé D. Mack à former son groupe de
gamelan à Freiburg en 1982.
[11] Sur le gamelan au Japon cf. Morishige
Yukitoshi & Nakagawa Shin, « An Informal Chronology of Gamelan in Japan », Balungan,
Vol. 3, No 2, October 1988, pp. 15-18. Le site Internet :
http://eamusic.dartmouth.edu/~gamelan/directoryjapan.html
[12] Sur le
gamelan en Grande-Bretagne cf. Maria Mendoça, Javanese Gamelan in
Britain: Communitas, Affinitiy and other Stories, PhD., Wesleyan
University, 2002. Jo Hopkin, « Use
of Indonesian instruments in London:
Performers and Composers in the 1990s », MA, SOAS, University of London,
1997. Neil Sorrell « Gamelan in Britain: the story so far », Balungan,
Vol. 4, No. 1, 1989, pp. 19-20. Pour la liste des gamelan britanniques cf.
le site Internet http://www.indonesianperformingarts.org/
[13] Le
programme se compose de pièces traditionnelles javanaises ainsi que deux
compositions pour gamelan et piano : la première de Lou Harrison et la
seconde du compositeur anglais Michael Nyman qui compose une pièce spécialement
pour l’occasion.
[14]
On en trouve actuellement pas moins de 32.
[15] Les premières activités de gamelan en France, au musée
de l’Homme et à l’ambassade d’Indonésie, datent des années 1980. En 1992,
la Galerie Sonore d’Angers acquiert un gamelan et offre des cours de
gamelan au grand public. Plusieurs autres gamelan existent en France
aujourd’hui, notamment à Aix en Provence (gamelan de l'association Adémuse
depuis 1992), à Limoux dans l’Aude, à Pantin (gamelan de l’association Musiques
de l’ébène créée en 1995) et au Centre de Formation des Musiciens Intervenants
de Tours (depuis 2004).
[16] Han Kuo-Huang, « National
Institute of the Arts, Taiwan »,
Balungan, Vol. 3, No 2, October 1988, p. 36.
[17]
Sources sur le gamelan en Israël : le site http://eamusic.dartmouth.edu/~gamelan/directoryasia.html
[18]
Tous les chiffres indiqués dans cette partie datent de notre étude sur le
« champ du gamelan américain », DEA de musicologie, Paris-IV
Sorbonne, 2000.
[19] La
pratique du gamelan n’est pas une activité professionnelle, les musiciens
appartenant à ces ensembles ne gagnent pas leur vie grâce au gamelan, et
exercent une profession n’ayant souvent rien à voir avec la musique. Selon
Wayne Vitale (responsable actuel du gamelan Sekar Jaya que nous avons rencontré
en 2001), il y aurait trois ou quatre personnes aux Etats-Unis qui gagneraient
leur vie grâce au gamelan.
[20]
Liste établie par le College Guide en 1991 et citée in Olivier
Cohen-Steiner, L’enseignement aux Etats-Unis, Paris, Presses
universitaires de Nancy, 1993, p. 139.
[21] Ces 10 écoles les
plus renommées sont les suivantes : Cleveland Institute of Music ; The Curtis
Institute of Music, Philadelphie; Eastman School of Music, Rochester, NY ;
Peabody Conservatory of Music, Johns Hopkins University, MD ; The Juilliard
School of Music, NY ; Manhattan School of Music, NY ; New England Conservatory
of Music, Boston ; Northwestern University, Evanston, IL ; Conservatory of
Music, Oberlin College, Ohio ; The School of music at Indiana University,
Bloomington ; University of Michigan, Ann Arbor ; San Francisco Conservatory of
Music ; Mannes College of Music, New School University, NY.
[22] Marc Perlman, « Gamelan,
Indonesian Arts in America
», Ear Magazine, New York,
Vol. 8, No. 4, 1983, p. 4.
[23]
Expression utilisée en français par Benjamin Brinner lors de notre entretien en
2001.
[24] Selon
Fred Constant, le terme anglais « multiculturalism » apparaît
pour la première fois en 1965, dans un rapport canadien le Report of the
Royal Commission on Bilingualism and Biculturalism (cf. Fred Constant Le
multiculturalisme, Paris, Flammarion, Dominos, 2000). Pour Denis Lacorne,
le terme « multiculturalism », dans la langue anglaise,
daterait au moins de 1941, mais les premiers débats utilisant ce terme datent
des années 1980-1990 (cf. Denis Lacorne, La crise de l’identité américaine,
Du Melting-Pot au multiculturalisme, Paris, Fayard, 1997, p. 19).
[25] Peter Wood, Diversity, The
Invention of a Concept, San
Francisco, Encounter Books, 2003.
[26] Peter
Wood prend l’exemple des restaurants à Boston dont l’offre s’est fortement
diversifiée récemment (on propose de la cuisine d’un nombre important de pays).
En 2002, 16% environ des restaurants de Boston entrent dans la catégorie
« cuisines du monde » (chinoise, espagnole, française, etc.). Cf.
Peter Wood, op. cit.
[27] Terese Volk, Music
Education and Multiculturalism, New
York, Oxford
University Press, 1998, p.
4.
[28]
Ibid., p. 89.
[29]
Ibid., p. 92.
[30]
Fred Constant, Le multiculturalisme, Paris, Flammarion, Dominos, 2000,
p. 6.
[31]
Therese Volk, op. cit., p. 108.
[32]
Linda Dobbins par exemple enseigne le gamelan aux enfants âgés de 5 à 12 ans au
Mills College de Oakland (Californie) dans les années 1980.
[33] Jody Diamond, Modes of consciousness and the learning process: an alternative model
for music education, M.A., San
Francisco State University, 1979.
[34] Jody Diamond, « Gamelan
Programs for Children From the Cross-Cultural to the Creative », Ear
Magazine, New York,
Vol. 8, No. 4, 1983, p. 27. Notons que, comme le titre de
cet article l’indique, Jody Diamond préfère le terme “cross-cultural” à
celui de “multicultural”. Elle ne nous semble pas marquer par là de
distance avec le multiculturalisme. Ce dernier terme ne s’est pas encore imposé
complètement au début des années 1980, et dans les années 1990 nombre de
professeurs de gamelan préfèrent encore celui de « cross-cultural ».
[35] Barbara Benary, « Gamelan at Rockland Project School »,
Balungan, Vol. 1 No. 3, Spring 1985, p. 13-16.
[36] Comme
le rappelle Howard Zinn : « Entre 1977 et 1989, le revenu brut des 1%
les plus riches avait augmenté de 77%. En revanche, pour les deux cinquièmes de
la population la plus pauvre, il n’y avait eu aucune augmentation. On pouvait
au contraire, constater un certain déclin. En outre, en raison de
l’évolution du système fiscal en faveur des riches, les 1% les plus riches
virent leurs revenus nets augmenter de 87% au cours de la décennie 1980. Pour
la même période, le revenu net des quatre cinquièmes de la population avait
soit diminué de 5% (au bas de l’échelle des revenus) soit n’avait augmenté que
de 8.7%. » (Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492
à nos jours, Marseille, Agone, 2002, p. 653).
[37]
Bernard Vincent (dir.), Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion,
2001, p. 345.
[38]
Serge Halimi, Le grand bond en arrière, Paris, Fayard, 2004, p. 103.
[39]
Pierre Melandri, « Une “Renaissance” américaine ? (1993-2000) »,
in Bernard Vincent (dir.), Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion,
2001, pp. 337-373.
[40]
Loïc Wacquant, Parias urbains, Ghetto, Banlieues, État, Paris, La
découverte, 2006, pp. 270-271.
[41]
Ibid., p. 76.
[42]
Serge Halimi, op. cit., p. 70.
[43] Christopher Lasch, La révolte des élites et la
trahison de la démocratie, Paris, Climats, 1996.
[44]
Jean-Michel Lacroix intitule ainsi le dernier chapitre de son histoire des
États-Unis « la révolution conservatrice de George W. Bush » cf.
Jean-Michel Lacroix, Histoire des États-Unis, Paris, PUF, 2006 (3e
édition).
[45] Cf.
Éveline Thévenard, État et protection sociale aux Etats-Unis, Paris,
Ellipses, 2002.
[46] Selon
Éveline Thévenard une Nouvelle gauche dite « néolibérale » est
née au début des années 1980 : « Au début des années 80, la création
du Democratic Leadership Council (qui fondera en 1990 son think-tank)
marque l’émergence du courant « néolibéral » au parti démocrate,
déterminé à reconquérir la présidence après avoir été écarté pendant douze ans.
Ce courant va prendre ses distances avec la politique sociale traditionnelle de
la gauche depuis le New Deal – à savoir l’intervention de l’Etat en matière
économique et la mise en œuvre de programmes sociaux – pour préconiser, à la
place, l’équilibre du budget, une modération des dépenses sociales et une réforme
de l’assistance publique incitant les bénéficiaires à travailler. La
convergence entre ces positions et celles des Républicains modérés va créer le
consensus nécessaire à la réforme de 1996. » (Éveline Thévenard, op.
cit., p. 155).
[47]
Serge Halimi, op. cit., p. 92.
[48] Comme
l’explique Noam Chomsky : « Dans le système politique, le terme
« libéral » a rejoint « socialiste » au rayon des mots qui
font peur ; dès 1992, le Parti démocrate n’avait guère à se fatiguer en
faveur des circonscriptions populaires qu’il avait jadis affirmé représenter.
Gore Vidal exagère à peine lorsqu’il décrit le régime politique américain comme
un système unipartite à deux ailes droites. » (Noam Chomsky, L’an 501,
La conquête continue, Montréal, Ecosociété, 1995, p. 68).
[49] Le
parti démocrate devient alors la cible des mouvements radicaux (issus de la
jeunesse contestataire des années 1960) et sera discréditée aux yeux de la base
du Parti, les ouvriers : « Se voulant le parangon d’une harmonie
multiculturelle, le parti démocrate n’invoque pas pour y atteindre le combat
social et solidaire d’autrefois, mais la propagation des idées de communauté
partagée, de morale universelle, voire de simple « décence », autant
de sentiments dont il escompte qu’ils seront imposés par les tribunaux et par
les médias davantage que les mobilisations populaires. » Serge Halimi, op. cit., p. 94.
[50]
Fabien Ollier, L’idéologie multiculturaliste en France, Entre fascisme et
libéralisme, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 19.
[51]
Pierre Bourdieu & Loïc Wacquant, « La nouvelle vulgate
planétaire », paru dans Le Monde diplomatique, mai 2000, reproduit
in Pierre Bourdieu, Interventions, 1961-2001, Marseille, Agone, 2002,
pp. 445-446.
[52] Certains
opposants au multiculturalisme redoutent une menace de « fragmentation »
du pays. Or, comme le remarque très justement Denis Lacorne, le
multiculturalisme n’a pas de fondement territorial et ne peut donc pas conduire
à une fragmentation territoriale des Etats-Unis (Lacorne, Op. Cit., p.
285). Il n’y a pas de menace de « balkanisation » de la société américaine
comme l’annoncent avec effroi ces adversaires du multiculturalisme.
[53]
Alberto Alesina & Edward Glaeser, Combattre les inégalités et la
pauvreté, Les Etats-Unis face à l’Europe, Paris, Flammarion, 2006 [2004],
p. 23.
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