mercredi 17 décembre 2014

Minimalisme & néolibéralisme




La musique répétitive : la traduction du néo-libéralisme dans le monde musical ?[1]


Résumé :
S’appuyant sur l’exemple de la musique dite « répétitive » ou « minimaliste », cet article vise à montrer les effets produits par l’intrusion de la logique commerciale dans le monde musical américain depuis la fin des années 1960. Cette révolution conservatrice dans la création musicale est indissociablement esthétique et socio-économique. En effet, on peut établir un lien entre cette production néo-conservatrice, dont les éléments les plus caractéristiques sont traditionnels, et ses conditions de production, caractérisées par la dépendance à l’égard du « marché » de la musique. Pourtant, par un effet d’allodoxia, la musique répétitive a été très vite considérée comme une production d’avant-garde et consacrée dans le monde musical (aux États-Unis comme en Europe). Finalement, la révolution conservatrice dans le monde musical est à rapprocher du néo-libéralisme dans le champ politique. La thèse soutenue dans cet article est que la musique répétitive est la traduction, dans le monde musical, de la logique commerciale également présente au cœur du néo-libéralisme.



Dans un texte intitulé « La culture est en danger », Pierre Bourdieu nous met en garde contre la pénétration de la logique commerciale dans le monde de la culture : « la recherche du profit maximum à court terme, et "l’esthétique" qui en découle, s’imposent de plus en plus et de plus en plus largement à l’ensemble des productions culturelles. (…) Comment ne pas voir que la logique du profit, surtout à court terme, est la négation stricte de la culture qui suppose des investissements à fonds perdus, voués à des retours incertains et bien souvent posthumes ? »[2]. En effet, depuis quelques décennies, en Europe comme aux États-Unis, la logique commerciale investit les secteurs jusqu’ici les plus épargnés par cette logique, comme celui de la musique « moderne » ou « contemporaine »[3]. Bourdieu observe que « l’on voit apparaître aussi, dans tous les univers (…), des productions culturelles en simili, qui peuvent aller jusqu’à mimer les recherches de l’avant-garde tout en jouant des ressorts les plus traditionnels des productions commerciales et qui, du fait de leur ambiguïté, peuvent tromper les critiques et les consommateurs à prétentions modernistes grâce à un effet d’allodoxia. »[4]. La musique dite « répétitive » ou « minimaliste » en est une bonne illustration. Ce courant, dont les tenants les plus célèbres sont Terry Riley (né en 1935), Steve Reich (né en 1936), Philip Glass (né en 1937), John Adams (né en 1947) et Laurie Anderson (née en 1947), émerge dans le champ musical américain à partir de la seconde moitié des années 1960. Nous verrons tout d’abord que cette musique, présentée habituellement comme « moderne »[5], peut être qualifiée de néo-conservatrice, compte tenu du fait que ses éléments les plus caractéristiques sont traditionnels. Nous évoquerons ensuite les conditions de production très particulières dans lesquelles cette musique a été écrite, à savoir la dépendance des compositeurs répétitifs à l’égard du « marché » de la musique. Enfin, nous verrons que la musique répétitive s’est imposée relativement facilement au sein du champ musical américain et qu’elle a été reconnue au détriment de celle des compositeurs minimalistes n’ayant point rompu avec la modernité ni renoncé à l’autonomie vis-à-vis de la sphère commerciale. Cette révolution conservatrice dans le champ musical est à mettre en lien avec le néo-libéralisme dans le champ politique. En effet, l’un des objectifs des politiques néo-libérales est d’étendre la logique commerciale, c’est-à-dire la loi du « marché », à tous les secteurs où elle ne s’est pas encore imposée[6]. Nous défendons que la musique répétitive est la traduction, dans le champ musical, de la logique commerciale également présente au cœur du néo-libéralisme.

L’esthétique néo-conservatrice de la musique « répétitive »

La musique répétitive est souvent appelée musique « minimaliste ». En effet, le pionnier du genre, Terry Riley, s’est directement inspiré de l’œuvre (produite à partir de la fin des années 1950) du père du minimalisme La Monte Young (né en 1935), caractérisée par des notes tenues très longuement. Plus généralement, on parle de « minimalisme » en musique pour désigner une œuvre qui donne à entendre très peu d’éléments sonores et/ou peu de variation de ces éléments. Les premières pièces minimalistes sont écrites à partir d’un matériau tout à fait moderne (langage atonal notamment). La musique dite « répétitive » reprend le principe du minimalisme appliqué à des éléments bien plus traditionnels[7], à savoir ceux de la tradition musicale occidentale des XVIIIe-XIXe siècles (styles classique et romantique) : langage tonal, pulsation régulière, rythmes simples et peu variés, etc. Mais la musique répétitive présente-t-elle des traits véritablement nouveaux ? Il est vrai que jamais auparavant on n’a osé composer une musique présentant, comme son nom le suggère, un caractère aussi récursif[8]. Mais cette extrême répétition mise à part, deux principes d’écriture retiennent le plus souvent l’attention des commentateurs : une forme nouvelle de canon et la technique dite « additive » de Philip Glass.
Commençons par le canon revu par les Répétitifs, en particulier Terry Riley et Steve Reich. La partition de In C (1964), qui est considérée comme l’œuvre « emblématique » du minimalisme répétitif, est une unique page sur laquelle sont notées cinquante-trois figures mélodiques tonales. Le nombre et le choix des instruments sont laissés libres. L’instrumentiste chargé de marquer la pulsation débute la pièce, puis chaque instrumentiste fait son entrée lorsqu’il le désire et répète chaque formule mélodique (de la première à la cinquante-troisième, sans qu’il soit obligatoire de les jouer toutes) autant de fois qu’il le souhaite[9]. Cette pièce repose donc sur le principe du canon, principe en usage depuis des siècles dans la musique occidentale. Et Riley n’apporte rien, l’extrême répétition mise à part, à cette technique d’écriture. Quant à Steve Reich, il fait usage dans toutes ses premières compositions, à commencer par It’s Gonna Rain (1965), de ce qu’il appelle le « décalage de phase » (phase shifting) ou déphasage. Le principe en est très simple : le même fragment musical est joué sur deux canaux différents d’un appareil audio, ou sur deux instruments différents si on l’applique à la musique instrumentale, et on décale légèrement les deux canaux, ou instruments, d’une fraction de seconde, ou d’un temps, en augmentant progressivement le décalage jusqu’à revenir au point de départ, c’est-à-dire à l’unisson. Une nouvelle fois, ce principe n’est ni plus ni moins qu’une forme de canon[10]. Ici, le décalage entre les voix, plus réduit que dans un canon traditionnel (décalage d’une seule note par exemple), produit des effets acoustiques relativement nouveaux. Mais le principe lui-même reste traditionnel.
La technique dite « additive » inventée par Philip Glass est-elle plus originale que le canon répétitif ? Glass l’utilise dans toutes ses premières compositions, notamment Strung Out pour violon électrique (1967). Il écrit une ligne mélodique (tonale ou modale) puis la répète (plusieurs fois) en ajoutant (ou supprimant) un élément nouveau (une note), puis il répète (plusieurs fois) cette nouvelle mélodie en ajoutant (ou supprimant) un autre élément nouveau et ainsi de suite. Selon le musicologue Célestin Deliège : « Le processus additif, Glass le décrit à la fois comme très simple et très complexe. Cette soi-disant complexité proviendrait de l’addition ou de la soustraction d’un son lors de la répétition des séquences. Il est cependant flagrant que les séquences se succèdent avec une simplicité, voire une puérilité désarmante. Même les patterns rythmiques superposés et de longueur inégale, mais synchrones au départ et à l’aboutissement, n’offrent guère de résistance à l’auditeur. »[11]. La qualité de la musique de Glass ne semble pas convaincre le musicologue, mais force est de reconnaître que cette technique d’écriture lui est propre. Encore une fois, le contenu de la musique (son langage notamment) est tout à fait traditionnel mais sa forme présente bien un aspect (formel) un peu nouveau.
Finalement, comment caractériser cette musique ? Steve Reich nous guide sur la bonne voie en déclarant ceci : « Après Schoenberg, Berg et Webern survint une pause suivie de Stockhausen, Boulez et Berio et après vinrent moi-même, Riley, Glass, Young et d’autres plus tard. Ce groupe de compositeurs récemment apparus, dont je fais partie, a engagé quelque chose qui, d’une part est tout à fait nouveau au niveau de la structure musicale, de la répétition et de la lenteur du changement harmonique et qui, d’autre part est un processus de restauration. Restauration de la mélodie, du contrepoint et de l’harmonie dans un contexte que l’on peut reconnaître mais qui est totalement nouveau… »[12]. Comme nous l’avons vu, la nouveauté est très relative, en revanche le « processus de restauration » est plus évident. On peut donc considérer la musique répétitive comme néo-conservatrice. Cette prise de position esthétique est la traduction d’une position dans l’espace social des compositeurs qui diffère radicalement de celle qu’occupaient ordinairement aux États-Unis les compositeurs d’avant-garde depuis au moins la Seconde Guerre mondiale, à savoir la dépendance à l’égard du « marché » de la musique.

La dépendance des compositeurs répétitifs vis-à-vis du « marché » de la musique

Dans un entretien avec Michel Foucault (en 1983), Pierre Boulez s’en prend au relativisme culturel dans le domaine musical (toutes les musiques se valent[13]) et fait la remarque suivante : « L’économie est là pour nous le rappeler, au cas où nous nous perdrions dans cette utopie fadasse : il y a des musiques qui rapportent et qui existent pour le profit commercial ; il y a des musiques qui coûtent, dont le projet même n’a rien à voir avec le profit. Aucun libéralisme n’effacera cette différence. »[14]. L’exemple de la musique répétitive ne peut que conforter ce point de vue. Elle est en effet produite dans le but de rapporter de l’argent. Leurs auteurs en dépendent pour vivre. Ceux-ci ont fait le choix de dépendre du « marché » de la musique, rejetant ainsi toutes les institutions garantissant habituellement l’autonomie des compositeurs étasuniens d’avant-garde.
Ils rompent en premier lieu avec l’Université (et, plus largement, avec les institutions supérieures d’éducation musicale comme les conservatoires[15]), l’institution (à but non lucratif) qui, aux États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, est le principal soutien à la création musicale savante. En effet, les œuvres produites dans les lieux de diffusion de la musique savante (salles de concert, maisons d’opéra, radios, etc.) restent, en très grande majorité, celles des compositeurs européens classiques et romantiques. Parmi les compositeurs américains, seuls quelques rares élus parviennent à se faire jouer régulièrement par les plus grands orchestres et à gagner leur vie grâce à leur musique. Pour tous les autres, le soutien des universités est déterminant. Comme l’explique Jann Paster, « le réseau constitué par les universités est prédominant : depuis la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis, ce sont les universités qui ont permis que soit écrite, pensée et même jouée la plus grande part de la musique contemporaine dite "savante" »[16]. L’Université est l’institution qui garantit l’autonomie de la création musicale : « En règle générale, écrit Paster, les universités sont prêtes à soutenir tout ce qui ne serait pas accepté par le monde commercial »[17]. L’écrasante majorité des compositeurs savants, qu’ils soient conservateurs ou d’avant-garde, travaillent dans une université. Jann Paster estime en effet, au milieu des années 1980, que 90 à 95 % des compositeurs (de toutes tendances) travaillent dans l’enseignement supérieur[18]. Non seulement l’Université leur garantit une situation professionnelle enviable mais elle leur permet aussi de faire jouer leurs œuvres (dans les salles de concert des campus)[19].
Les compositeurs répétitifs se détournent donc de l’Université : Philip Glass n’y a jamais enseigné[20], et les autres renoncent à l’enseignement à partir du moment où ils peuvent vivre de leur musique[21]. Ils dépendent du marché pour vivre et, en premier lieu, des concerts qu’ils donnent avec leur propre ensemble ou en dirigeant leur œuvre. Ils gagnent aussi de l’argent grâce à la vente de disques. In C (1964), dont l’enregistrement est distribué par Columbia en 1968, est le premier « succès commercial » du genre. Selon Robert Schwarz, cette œuvre permet au minimalisme de sortir des lofts et des galeries pour devenir une « force commerciale »[22]. Bien d’autres enregistrements de musique répétitive obtiendront également un succès commercial relativement important. Par exemple, celui de Music for 18 Musicians en 1978 de Steve Reich par la maison de disque ECM se vend la première année à plus de 20 000 copies et dépasse les 100 000 copies en quelques années[23], chiffre considérable pour un disque de musique « contemporaine ». Les disques de Philip Glass se vendent mieux encore (parfois jusqu’à 200 000 copies[24]). Et le disque de la chanson intitulée « O Superman » (1981) de Laurie Anderson, distribué par 110 Records (tiré au départ à 1000 copies), connaît même un succès commercial exceptionnel aux États-Unis et en Europe : il entre dans le classement des meilleures ventes de disques pop en Angleterre (où il occupe la deuxième place du classement) et aurait rapporté plus d’un million de dollars[25]. Par ailleurs, les compositeurs répétitifs reçoivent des commandes, parfois richement dotées, en particulier pour l’opéra[26] ou le cinéma[27].
Jusqu’aux années 1960, les nouveaux tenants de la musique moderne entraient en concurrence avec les compositeurs d’avant-garde consacrés. Tous (nouveaux et anciens compositeurs d’avant-garde) s’opposaient à l’académisme et revendiquaient une autonomie complète vis-à-vis de l’argent (d’où la grande méfiance à l’égard de tout ce qui était considéré comme « commercial »). Les compositeurs répétitifs s’opposent à leur tour à l’académisme mais en refusant l’autonomie des compositeurs d’avant-garde (assurée notamment par l’Université). Ils ne luttent pas contre la sphère musicale académique sur sa gauche mais sur sa droite, en se positionnant entre cette sphère et la sphère « commerciale ». Il s’agit d’un renversement complet de la position occupée par le compositeur d’avant-garde dans l’espace social des compositeurs.
Pour être précis, dans l’histoire du minimalisme répétitif, nous pouvons distinguer les compositeurs respectés ou reconnus par leurs pairs, comme Steve Reich et John Adams, des compositeurs plus dépendants du marché et moins bien considérés dans le champ musical savant, comme Terry Riley, Philip Glass et Laurie Anderson. Au fil du temps les oppositions sont plus marquées. D’un côté, les compositeurs les plus respectés se rapprochent de la sphère académique. Steve Reich et John Adams ont été admis assez rapidement dans les institutions académiques étasuniennes. Ils ont notamment été élus à l’Académie Américaine des Arts et des Lettres : Steve Reich en 1994 (à l’âge de 54 ans) et John Adams en 1997 (à l’âge de 50 ans) ; alors que, à ce jour, seul Philip Glass a eu cet honneur et seulement en 2003 (à l’âge de 66 ans). Leur musique tend à perdre de ses aspérités avec le temps. Celle de John Adams en particulier, devient de moins en moins répétitive et se rapproche d’une musique néoromantique[28].
D’un autre côté, le succès commercial est croissant pour les Répétitifs proches du secteur commercial. Terry Riley obtient un succès notable mais éphémère à la fin des années 1960. Philip Glass se rapproche davantage des industries culturelles. Selon Robert Schwarz, Glass est devenu un « phénomène de la culture de masse » : une publicité affirme que « Philip Glass boit du scotch Cutty Sark »[29], le compositeur participe à des émissions télévisées de grande écoute (il apparaît même dans un dessin animé) et on en discute beaucoup dans la presse[30]. Pour Célestin Deliège, « Glass est le plus inféodé au système industriel américain, notamment par ses contrats d’enregistrement, de cinéma et de télévision »[31]. De plus, très lié au monde du rock depuis les années 1970, il joue dans des clubs avec son ensemble, intéresse et influence nombre de musiciens « rock » et collabore avec plusieurs d'entre eux sur son album Songs from Liquid Days (1986). Philip Glass confesse d’ailleurs sa proximité esthétique à la musique pop en déclarant : « Quand j’ai entendu Donna Summer pour la première fois, j’ai simplement ri. J’ai dit, "C’est exactement ce que nous faisons !" Comment ne pas le voir ? »[32].
Avec Laurie Anderson, on ne sait plus s’il s’agit de musique savante ou de musique pop. Les stratégies de la compositrice sont empruntées à la sphère de la musique pop (production d’un « album », sortie d’un « single », tournage de clips vidéo pour la promotion de ses chansons, etc.) et elle décroche un succès commercial record avec sa chanson « O Superman ». Anderson poursuit une double carrière dans le monde savant et le monde de la pop. Véritable artiste caméléon, elle s’intègre parfaitement à plusieurs univers : les médias dominants (elle participe à différentes émissions télévisées, notamment en 1986 au « Saturday Night Show ») ; le show business (Anderson fréquente les vedettes de la musique pop comme Peter Gabriel, Paul Simon, Bruce Springsteen, et Lou Reed[33] avec qui elle se marie en 2008) ; et elle joue à la fois dans les lieux dédiés à la culture savante et ceux réservés à la musique pop. Eric Salzman, qui fait remarquer que Laurie Anderson n’est pas facile à classer[34], définit l’accompagnement musical sur lequel elle récite ses textes comme un « son minimaliste dérivé du rock »[35]. Certes, les chansons abordent des questions plus ou moins philosophiques ou politiques, mais il n’y a pas trop d’ambiguïté sur sa musique, très proche de la musique pop-rock.  
L’assimilation d’un certain « minimalisme » à la musique pop (et plus particulièrement le rock) semble se poursuivre après la fin des années 1980, si l’on en juge par les productions de jeunes compositeurs comme Paul Dresher (né en 1951) ou Mikel Rouse (né en 1957). Ce dernier n’est d’ailleurs pas toujours considéré comme un compositeur savant. Ainsi, Against All Flags (1988) a-t-il été qualifié de « Pop Album of the Week » (album pop de la semaine) par le New York Times.
Cette évolution de la musique répétitive, susceptible d’aboutir à une assimilation des descendants du minimalisme répétitif par la sphère académique d’un côté, par celle de la musique pop de l’autre, pourrait alors être considérée comme un phénomène transitoire conduisant à la réintégration d’une partie de la « musique nouvelle » dans l’ordre culturel dominant (académique et commercial), réaction contre la modernité musicale et remise en cause de l’autonomie de la création musicale. Pierre Bourdieu écrit que la conquête de l’autonomie est un processus qui n’a « rien d’une sorte de développement linéaire et orienté de type hégélien et que les progrès vers l’autonomie pouvaient être interrompus » ; c’est le cas actuellement : « l’indépendance, difficilement conquise, de la production et de la circulation culturelle à l’égard des nécessités de l’économie se trouve menacée, dans son principe même, par l’intrusion de la logique commerciale à tous les stades de la production et de la circulation des biens culturels »[36]. En effet « l’intrusion de la logique commerciale » dans tous les secteurs du champ musical, y compris celui de la musique « nouvelle », menace directement les conditions sociales de possibilité de la création musicale.

L’effet d’allodoxia d’une production musicale en simili

Face à ce qui peut être considéré à la fois comme une imposture (production d’avant-garde en simili) et une menace pour les conditions de production de la musique moderne, quelle a été la réaction ? La musique répétitive a-t-elle rencontré une certaine résistance ? De la fin des années 1960 au milieu des années 1980, elle est loin de faire l’unanimité au sein du champ musical, en Europe comme aux États-Unis. Les commentaires sont parfois très hostiles : la pièce In C de Riley fut huée lors de son exécution en 1969 à Darmstadt[37] ; Four Organs de Steve Reich fit scandale lors de sa création au Carnegie Hall (New York) en 1973[38] ; et le critique Donald Henahan déclara dans le New York Times (en 1987) que John Adams a « fait pour l’arpège ce que MacDonald a réalisé pour le hamburger »[39]. Cependant, les minimalistes répétitifs trouvent rapidement des soutiens au sein du champ musical, aux États-Unis comme en Europe[40].
La reconnaissance de la musique répétitive est même particulièrement rapide. En règle générale, plus un courant est original, plus il faut du temps pour l’accepter. À l’inverse, une production reposant sur des règles déjà bien admises peut être immédiatement acceptée. On ne sera donc pas surpris de constater que la musique répétitive, courant très conservateur par bien des aspects, fut rapidement reconnue. En général, il ne faut pas plus de quatre ans[41] à un compositeur répétitif pour obtenir un début de reconnaissance aux États-Unis. C’est très rapide en regard des compositeurs d’avant-garde comme ceux de l’École de New York (John Cage et ses amis[42]) qui se sont distingués dans les années 1950-1960[43].

La diffusion d’une représentation inversée du champ musical

Comment a-t-on légitimé ce type de musique dont la nature (tant musicale que sociale) est aussi étrangère au monde de la musique moderne ? Aux États-Unis, ses partisans ont usé d’arguments reposant sur une nouvelle représentation du champ musical, notamment l’idée que la liberté du compositeur est garantie non plus par des institutions à but non lucratif (comme l’Université) mais par le « marché ». Ainsi, à New York, en 1981, est organisé un colloque sur les voies nouvelles de la création musicale au cours duquel le critique musical du Village Voice Gregory Sandow (né en 1943) s’en prend aux compositeurs modernes comme Milton Babbitt (1916-2011), Elliott Carter (1908-2012) ou Charles Wuorinen (né en 1938) qu’il juge « académiques » et « élitistes », et qui écrivent selon lui de la « musique morte » que personne ne veut entendre. Il défend en revanche la musique rock et le « minimalisme », notamment la « musique nouvelle » de Philip Glass[44]. Il s’agit ici d’une complète inversion des positions (et prises de position) : les compositeurs néo-conservateurs comme Glass[45] sont situés près du pôle le plus hétéronome du champ musical (le pôle « commercial »). On les présente pourtant comme les vrais rebelles qui s’attaquent aux conservateurs, à savoir les compositeurs modernes, pourtant situés vers le pôle le plus autonome du champ musical.  
Cette représentation inversée des positions fait penser à ce qui se produit dans le champ politique, lorsque les « néo-libéraux » tentent de faire passer des positions conservatrices pour des positions progressistes. La gauche paraît ainsi conservatrice et, à l’inverse, la droite progressiste. Pierre Bourdieu rappelle que les idées « néo-libérales » ont été produites par des think tanks qui « ont dû, pour être en mesure de rompre avec la tradition du Welfare State, opérer une véritable contre-révolution symbolique et produire une doxa paradoxale : conservatrice, elle se présente comme progressiste ; restauration du passé dans ce qu’il a parfois de plus archaïque (en matière de relations économiques notamment), elle fait passer des régressions, des rétrocessions pour des réformes ou des révolutions. (…) Combattre une telle politique, c’est s’exposer à apparaître comme archaïque lorsqu’on défend les acquis les plus progressistes du passé »[46]. Les néo-conservateurs de la musique imposent à la fois une production (minimalisme répétitif) mais également une représentation du champ musical dans laquelle la dépendance à l’égard du « marché » de la musique est décrite comme une libération[47].

La consécration d’une production néo-conservatrice se fait au détriment des compositeurs minimalistes qui n’ont renoncé ni à la modernité ni à l’autonomie. Dans un numéro de la revue Newsweek publié en 1982, un article sur le « minimalisme » indique que « les fondateurs du minimalisme sont Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass » ; le compositeur et critique Tom Johnson (né en 1939) réplique dans le Village Voice (daté du 27 juillet 1982) par un article intitulé « The Original Minimalists » dans lequel il se demande pourquoi on oublie de parler de La Monte Young et propose une liste des pionniers du minimalisme bien différente de celle de Newsweek[48]. Dans les médias, on ignore la plupart du temps les compositeurs minimalistes n’ayant pas rompu avec la modernité, comme Alvin Lucier (né en 1931), Gordon Mumma (né en 1935), Philip Corner (né en 1933) ou Phill Niblock (né en 1933)[49]. Ces derniers se distinguent des Répétitifs par leurs prises de position (adhésion à la modernité la plus radicale qui soit) et leur position dans le champ musical (ils travaillent tous à l’Université). 
Que les compositeurs à succès occupent le devant de la scène médiatique n’a rien de surprenant. Mais qu’ils retiennent l’attention des musicologues et historiens de la musique au détriment des compositeurs plus originaux est plus inhabituel. Ainsi, la quatrième édition du livre d’histoire de la musique occidentale de Grout et Palisca s’achève par une présentation du « minimalisme », dans laquelle ne sont évoqués que La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass[50]. Plus récemment, l’ouvrage de Richard Taruskin consacré à la musique depuis 1945 (Music in the Late Twentieth Century), fait la part belle aux musiques néo-tonales dites « postmodernes », notamment la musique répétitive. Selon l’auteur, les productions artistiques « postmodernes » sont « les formes d’art les plus innovantes du dernier quart du XXe siècle », et tous les compositeurs de talent qui se font connaître durant les deux dernières décennies du XXe siècle en Amérique sont des compositeurs de musique néo-tonale[51]. Si l’on suit Taruskin une sorte de consensus se serait imposé dans le monde musical étasunien autour du langage tonal (qui est celui des Répétitifs). Ce n’est pas tout à fait exact (il y a encore des productions non tonales, ignorées ici par l’auteur), mais cette tendance au consensus semble bien réelle si l’on en juge par le nombre considérable de compositeurs reconnus qui adoptent cette position.
Et la ressemblance avec ce qui se produit dans le champ politique au même moment est assez frappante. Le néo-libéralisme a convaincu un nombre étonnant d’agents et d’organisations politiques, de « droite » comme de « gauche ». Un consensus semble ainsi s’imposer dans ce monde social, où les positions les plus critiques (notamment celles de la gauche radicale) sont complètement marginalisées. Le capitalisme, et plus précisément la logique de « marché », fait de plus en plus unanimité. Pourtant, il n’est pas difficile d’observer ses effets dévastateurs, comme le fait Alain Accardo : « Le véritable mal dont souffrent la société américaine et, dans son sillage, les sociétés européennes, n’est pas exogène mais endogène. C’est la généralisation d’un mode de vie intimement lié à l’économie capitaliste, à sa violence consubstantielle et à sa logique fondamentale : celle de la transformation de tous les espaces sociaux en marchés à conquérir (…). Cette logique impitoyable a progressivement, au fil des générations, transformé la civilisation occidentale en paravent respectable à l’abri duquel règne la loi de la jungle sociale qui s’énonce : profit maximal dans un délai minimal »[52]. Parmi les effets les plus dévastateurs des politiques néo-libérales, appliquées depuis les années 1970-1980 aux États-Unis comme en Europe[53], notons le démantèlement des services publics et l’augmentation spectaculaire des inégalités économiques[54]. La révolution conservatrice dans le champ musical est évidemment un phénomène bien moins dramatique que la régression sociale dont il est question. Les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets selon les champs sociaux. Cependant, il s’agit d’un recul évident de la conquête de l’autonomie aux effets déjà néfastes sur la qualité des productions musicales récentes. Cette régression dans le champ musical ne rencontre actuellement pas plus d’opposition que celle observée dans le champ politique.

Laurent Denave


[1] Cet article reprend et développe des éléments du second chapitre de la cinquième partie de mon ouvrage : Laurent Denave, Un siècle de création musicale aux États-Unis. Histoire sociale des productions les plus originales du monde musical américain, de Charles Ives au minimalisme (1890-1990), Genève, Contrechamps, 2012, p. 293-323. Il doit beaucoup, tant au niveau de la forme que du fond, aux multiples relectures critiques de Julie Pannetier que je remercie. Je voudrais remercier également Nicolas Vayssié et Sophie Denave pour leur aide. 
[2] Pierre Bourdieu, « La culture est en danger » (2000), in Contre-feux 2, Paris, Raisons d’agir, 2001, p. 79.
[3] Autrement dit, la musique savante nouvelle composée au XXe siècle.
[4] Ibid., p. 82-83.
[5] On parle ainsi de cette musique dans les ouvrages sur la musique « moderne ». Par exemple : Paul Griffiths, Brève histoire de la musique moderne. De Debussy à Boulez, Paris, Fayard, 2004 [1992], p. 162-164 ; Jean-Noël von der Weid, La musique du XXe siècle, Paris, Hachette, 1997, p. 237. Et l’on présente même Steve Reich (mais c’est le cas également de ses collègues répétitifs) comme un compositeur « d’avant-garde », bien que ce dernier ne se soit jamais considéré comme tel : « La position de Steve Reich est donc paradoxale : reconnu comme un des chefs de file de la "nouvelle musique" américaine, il ne croit pas, en fait, à la musique expérimentale et se réfère constamment à la “tradition” » (Béatrice Reynaud in Steve Reich, Écrits et entretiens sur la musique, Paris, Bourgois, 1981, p. 36).
[6] Comme le note Loïc Wacquant, l’une des logiques institutionnelles du néolibéralisme est « la dérégulation économique, qui consiste en fait en une re-régulation visant à promouvoir le "marché" ou des mécanismes de type marchand » (Loïc Wacquant, « La fabrique de l’État néolibéral : insécurité sociale et politique punitive », in Romuald Bodin [dir.], Les métamorphoses du contrôle social, Paris, La dispute, 2012, p. 252).
[7] Pourtant, les compositeurs répétitifs célèbres ont tous commencé par adhérer à la modernité de leur temps (durant leurs études ou au début de leur carrière), avant de rompre avec elle. Depuis au moins la fin des années 1940, tout compositeur renouant avec des principes traditionnels ne pouvait sérieusement se considérer comme « moderne ». Ce n’est plus le cas avec les compositeurs répétitifs qui renoncent à la posture moderne (caractérisée notamment par le rejet de la tonalité) sans pour autant renoncer à la prétention de se considérer comme original ou novateur.
[8] C’est d’ailleurs certainement la raison pour laquelle, bien que renouant avec des traits traditionalistes, cette musique peut rebuter le mélomane conservateur (qui apprécie habituellement Mozart ou Beethoven).
[9] Keith Potter, Four Musical Minimalists, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 112.
[10] Reich le reconnaît lui-même : « Reich rappelle volontiers que le terme de "phase" n’est qu’un terme technique qu’il a appliqué en analogie avec le travail sur bande, et concède que finalement le processus de phase n’est autre qu’une nouvelle exploration d’une forme canonique surexploitée à travers tous les âges de l’histoire de la musique » (Jérôme Bodon-Clair, Le langage de Steve Reich, Paris, L’harmattan, 2008, p. 19).
[11] Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale : de Darmstadt à l’Ircam, Belgique, Mardaga, 2003, p. 646.
[12] Jean-Claude Gaillard, Le dernier Schoenberg : synthèse et dépassement, Lille, Atelier National de Reproduction des Thèses, p. 118.
[13] « Est-ce en parlant des musiques, et en affichant un œcuménisme éclectique, qu’on va résoudre le problème ? Il semble bien, au contraire, qu’on escamote – en phase avec les tenants de la société libérale avancée. Toutes les musiques, elles sont bonnes, toutes les musiques, elles sont gentilles, Ah ! le pluralisme, il n’y a rien de tel comme remède à l’incompréhension. Aimez donc chacun dans votre coin et vous vous aimerez les uns les autres. Soyez libéraux, soyez généreux pour les goûts d’autrui, il y aura parité pour les vôtres. Tout est bien, rien n’est mal ; il n’y a pas de valeurs, mais il y a le plaisir. » (Pierre Boulez, « La musique contemporaine et le public », in Regards sur autrui [Points de repère, tome II], Paris, Bourgois, 2005, p. 484).
[14] Idem.
[15] Aux États-Unis, il n’y a pas vraiment de différence entre un département de musique de haut niveau et un conservatoire.
[16] Jann Paster, « Musique et institution aux États-Unis », Inharmoniques, Paris, IRCAM & Christian Bourgois, Mai 1987, p. 105.
[17] Ibid., p. 118.
[18] Ibid., p. 106.
[19] En 1968, une étude indique que 70 % des concerts donnés par des musiciens professionnels aux États-Unis ont lieu dans des universités (ibid., p. 110).
[20] La musique répétitive de Glass, contrairement à ses premières compositions, ne séduit personne (ou presque) pendant environ dix ans. Il doit vivre de petits boulots (il est notamment chauffeur de taxi de 1973 à 1978). Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1970 qu’il peut gagner sa vie grâce à sa musique. À Manhattan, Glass travaille dans un lieu où sont rassemblés maison d’édition, maison de production et studio d’enregistrement, pour lesquels travaillent plusieurs personnes à temps plein (musiciens, ingénieur du son, etc.), ce qui donne l’impression d’une véritable petite entreprise. Ses hauts revenus lui permettent de vivre très confortablement. Il peut acheter en 1984 une maison datant du XIXe siècle dans le quartier de East Village.
[21] Avant de pouvoir vivre de leur musique : Steve Reich a enseigné pendant plusieurs années à l’Université dans les années 1960 ; John Adams a enseigné au Conservatoire de San Francisco (de 1972 à 1982) avant d’être compositeur en résidence au sein de l’Orchestre symphonique de San Francisco (1982-1985) ; et Laurie Anderson a enseigné dans différents colleges. Seul Terry Riley enseignera au Mills College à partir des années 1970, lorsque l’œuvre qui l’a fait connaître sera déjà réalisée.
[22] Robert Schwarz, Minimalists, London, Phaidon Press, 1996, p. 44.
[23] Robert Fink, « (Post)Minimalisms 1970-2000 : The Search for a new Mainstream », in Nicholas Cook & Anthony Pople (eds.), The Cambridge History of Twentieth-Century Music, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 549.
[24] L’enregistrement de Einstein on the Beach s’est vendu à plus de 100 000 copies (un record pour un opéra), Glassworks (1981) à plus de 175 000 copies (ibid., p. 151) ; et Low Symphony à plus de 200 000 copies en trois ans (Elise Kirk, American Opera, Urbana & Chicago, University of Illinois Press, 2001, p. 337).
[25] Richard Taruskin, Music in the Late Twentieth Century, New York, Oxford University Press, 2010, p. 494. Après ce succès, Anderson signe un contrat avec une grande maison de disque (Warner).
[26] Le Metropolitan Opera a offert à Philip Glass 325 000 dollars pour la commande de son opéra The Voyage (1990), la somme la plus importante jamais offerte par cette institution à un compositeur (Elise Kirk, American Opera, op. cit., p. 359).
[27] Entre 1977 et 2002, Philip Glass compose 27 musiques de film, notamment celles de North Star (1977), Hamburger Hill (1987) et Kundun (1997).
[28] Cela a d’ailleurs provoqué la colère des partisans d’un minimalisme pur et dur, notamment après la création d’Harmonielehre pour orchestre en 1985.
[29] Robert Schwarz, Minimalists, op. cit., p. 108.
[30] En 1983, ce compositeur a déjà fait parler de lui dans Time Magazine (deux fois), Newsweek (deux fois), Horizon, Esquire et le New York Times (Robert Fink, « [Post]Minimalisms 1970-2000 : The Search for a new Mainstream », op. cit., p. 549).
[31] Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale, op. cit., p. 648.
[32] Johan Girard Répétitions. L’esthétique musicale de Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2010, p. 13.
[33] Laurie Anderson collabore avec le chanteur et guitariste de rock Lou Reed (1942-2013) sur « In Our Sleep » (1995), une chanson pop-rock. Depuis les années 1990, les deux artistes ont collaboré sur d’autres projets (plusieurs disques et concerts).
[34] Eric Salzman, Twentieth-Century Music, An Introduction, Englewood Cliffs (New Jersey), Prentice Hall, 1988, p. 228.
[35] Ibid., p. 239
[36] Pierre Bourdieu, « La culture est en danger », art. cit., p. 76.
[37] Cf. Richard Toop, György Ligeti, London, Phaidon, 1999, p. 146.
[38] Un critique allemand a même parlé de « fascisme musical » à propos de la musique de Steve Reich (Amy Beal, Patronage and Reception History of American Experimental Music in West Germany, 1945-1986, Ph. D., The University of Michigan, UMI, 1999, p. 272).  
[39] Thomas May, The John Adams Reader, Essential Writings on an American Composer, Pompton Plains (New Jersey), Amadeus Press, 2006, p. XIV.
[40] Les agents (et institutions) européens ont d’ailleurs largement contribué à la reconnaissance de la musique répétitive. Certains critiques ont pris ouvertement position pour cette musique (notamment Hans Otte, Daniel Caux et Michael Nyman). On s’intéresse tout particulièrement à la musique de Steve Reich, mais également à celle de Philip Glass (surtout à ses opéras), « au point, écrit Célestin Deliège, que l’on peut légitimement se demander si ce n’est pas l’Europe, plus que l’Amérique, qui a donné au minimalisme des lettres de noblesse dans les années 70 » (Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale, op. cit., p. 645).
[41] Il suffit de comparer la date de leurs premières pièces répétitives avec celle d’un début de reconnaissance : 1961 et 1964-1968 pour Terry Riley, 1965 et 1967-1971 pour Steve Reich, 1967 et 1974 pour Philip Glass (mais Glass avait déjà été reconnu auparavant pour son premier style), 1976 et 1980 pour John Adams, 1976 et 1979-1981 pour Laurie Anderson.
[42] John Cage (1912-1992) se fait remarquer au bout de 6 ou 7 ans (et il lui faudra encore attendre 9 ans pour être véritablement reconnu dans le champ musical), Morton Feldman (1926-1987) fait vraiment parler de lui au bout de 14 ans environ, Earl Brown (1926-2002) se fait connaître au bout de 8 ans environ, quant à Christian Wolff (né en 1934), on parle très peu de lui avant les années 1960 et surtout les années 1970, c’est-à-dire 10 à 20 ans après l’écriture de la première composition typique de son style.
[43] On remarque d’ailleurs le même phénomène dans d’autres domaines culturels. Ainsi, le « Pop art », dont on ne sait pas trop non plus s’il appartient à la culture savante ou populaire (tant au niveau des productions que des conditions de production), a obtenu un succès beaucoup plus rapidement que les formes d’art moderne qui lui ont précédées. Le Pop art aurait été consacré en à peine 4 ans alors qu’il a fallu environ 10 ans pour l’Expressionnisme abstrait (Diana Crane, The Transformation of the Avant-Garde. The New York Art World, 1940-1985, Chicago, University of Chicago Press, 1987, p. 39).
[44] Nicholas Tawa, A Most Wondrous Babble, American Art Composers, Their Music, and the American Scene, 1950-1985, New York, Greenwood Press, 1987, p. 42-45.
[45] Nous laissons de côté la question de savoir si, comme le pense Sandow, la musique rock (musique « commerciale » s’il en est) est véritablement une musique « nouvelle ».
[46] Pierre Bourdieu, « Pour un savoir engagé » (1999), in Contre-feux 2, op. cit., p. 38.
[47] Un des arguments avancés par les néolibéraux de la culture est que le libre marché permet la mise en concurrence de produits très divers. Or, comme le rappelle Pierre Bourdieu, on constate au contraire que la concurrence homogénéise, car le marché est monopolisé par quelques grandes multinationales qui proposent toujours plus ou moins les mêmes marchandises, « la poursuite du public maximum conduisant les producteurs à rechercher des produits omnibus, valables pour des publics de tous milieux et de tous pays, parce que peu différenciés et différenciants » (Pierre Bourdieu, « La culture est en danger », art. cit., p. 77-78).
[48] Cf. Tom Johnson, “Minimalism in Music: in search of a Definition”, Introduction pour le catalogue de l’exposition Musica Silenciosa (Madrid), 2001.
[49] Cf. Laurent Denave, Un siècle de création musicale aux États-Unis, op. cit., p. 300-304.
[50] Donald Jay Grout & Claude Palisca, A History of Western Music, New York, Norton, 1988, p. 533-535.
[51] Richard Taruskin, Music in the Late Twentieth Century, op. cit., p. 351 & p. 454.
[52] Alain Accardo, Engagements, Chroniques et autres textes (2000-2010), Marseille, Agone, 2011, p. 206-207.
[53] Cf. Loïc Wacquant, Punishing the Poor. The Neoliberal Government of Social Insecurity, Durham, Duke University Press, 2009.
[54] De 1973 à 1988, le revenu moyen des 20 % des familles les moins riches du pays a diminué de 32 %, celui de la tranche suivante (c’est-à-dire des 20 % des familles américaines légèrement moins pauvres que les précédentes) a diminué de 18 % (Richard Du Boff, Accumulation & Power, An Economic History of the United States, New York, Sharpe, 1989, p. 131). A l’inverse, les familles riches sont devenues encore plus riches. Entre 1983 et 1989, 99 % de l’augmentation des richesses a été monopolisée par les 20 % au sommet de la pyramide des revenus, 62 % aux seuls 1 % les plus riches.

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