La musique répétitive : la traduction du néo-libéralisme dans le monde musical ?[1]
Résumé :
S’appuyant
sur l’exemple de la musique dite « répétitive » ou
« minimaliste », cet article vise à montrer les effets produits par
l’intrusion de la logique commerciale dans le monde musical américain depuis la
fin des années 1960. Cette révolution conservatrice dans la création musicale
est indissociablement esthétique et socio-économique. En effet, on peut établir
un lien entre cette production néo-conservatrice, dont les éléments les plus
caractéristiques sont traditionnels, et ses conditions de production,
caractérisées par la dépendance à l’égard du « marché » de la
musique. Pourtant, par un effet d’allodoxia,
la musique répétitive a été très vite considérée comme une production
d’avant-garde et consacrée dans le monde musical (aux États-Unis comme en
Europe). Finalement, la révolution conservatrice dans le monde musical est à
rapprocher du néo-libéralisme dans le champ politique. La thèse soutenue dans
cet article est que la musique répétitive est la traduction, dans le monde
musical, de la logique commerciale également présente au cœur du
néo-libéralisme.
Dans un texte intitulé « La culture est en
danger », Pierre Bourdieu nous met en garde contre la pénétration de la
logique commerciale dans le monde de la culture : « la recherche du
profit maximum à court terme, et "l’esthétique" qui en
découle, s’imposent de plus en plus et de plus en plus largement à l’ensemble
des productions culturelles. (…) Comment ne pas voir que la logique du profit,
surtout à court terme, est la négation stricte de la culture qui suppose
des investissements à fonds perdus, voués à des retours incertains et bien
souvent posthumes ? »[2]. En
effet, depuis quelques décennies, en Europe comme aux États-Unis, la logique
commerciale investit les secteurs jusqu’ici les plus épargnés par cette
logique, comme celui de la musique « moderne » ou
« contemporaine »[3]. Bourdieu
observe que « l’on voit apparaître aussi, dans tous les univers (…), des
productions culturelles en simili, qui peuvent aller jusqu’à mimer les
recherches de l’avant-garde tout en jouant des ressorts les plus traditionnels
des productions commerciales et qui, du fait de leur ambiguïté, peuvent tromper
les critiques et les consommateurs à prétentions modernistes grâce à un effet
d’allodoxia. »[4].
La musique dite « répétitive » ou « minimaliste » en est
une bonne illustration. Ce courant, dont les tenants les plus célèbres sont
Terry Riley (né en 1935), Steve Reich (né en 1936), Philip Glass (né en 1937),
John Adams (né en 1947) et Laurie Anderson (née en 1947), émerge dans le champ
musical américain à partir de la seconde moitié des années 1960. Nous verrons tout
d’abord que cette musique, présentée habituellement comme « moderne »[5], peut
être qualifiée de néo-conservatrice, compte tenu du fait que ses éléments les
plus caractéristiques sont traditionnels. Nous évoquerons ensuite les
conditions de production très particulières dans lesquelles cette musique a été
écrite, à savoir la dépendance des compositeurs répétitifs à l’égard du
« marché » de la musique. Enfin, nous verrons que la musique répétitive
s’est imposée relativement facilement au sein du champ musical américain et
qu’elle a été reconnue au détriment de celle des compositeurs minimalistes
n’ayant point rompu avec la modernité ni renoncé à l’autonomie vis-à-vis de la
sphère commerciale. Cette révolution conservatrice dans le champ musical est à
mettre en lien avec le néo-libéralisme dans le champ politique. En effet, l’un
des objectifs des politiques néo-libérales est d’étendre la logique
commerciale, c’est-à-dire la loi du « marché », à tous les secteurs
où elle ne s’est pas encore imposée[6]. Nous défendons
que la musique répétitive est la traduction, dans le champ musical, de la
logique commerciale également présente au cœur du néo-libéralisme.
L’esthétique néo-conservatrice de la musique « répétitive »
La musique répétitive est souvent appelée musique
« minimaliste ». En effet, le pionnier du genre, Terry Riley, s’est
directement inspiré de l’œuvre (produite à partir de la fin des années 1950) du
père du minimalisme La Monte Young (né en 1935), caractérisée par des notes
tenues très longuement. Plus généralement, on parle de « minimalisme »
en musique pour désigner une œuvre qui donne à entendre très peu d’éléments
sonores et/ou peu de variation de ces éléments. Les premières pièces
minimalistes sont écrites à partir d’un matériau tout à fait moderne (langage
atonal notamment). La musique dite « répétitive » reprend le principe
du minimalisme appliqué à des éléments bien plus traditionnels[7], à
savoir ceux de la tradition musicale occidentale des XVIIIe-XIXe
siècles (styles classique et romantique) : langage tonal, pulsation
régulière, rythmes simples et peu variés, etc. Mais la musique répétitive présente-t-elle
des traits véritablement nouveaux ? Il est vrai que jamais auparavant on n’a
osé composer une musique présentant, comme son nom le suggère, un caractère
aussi récursif[8].
Mais cette extrême répétition mise à part, deux principes d’écriture retiennent
le plus souvent l’attention des commentateurs : une forme nouvelle de
canon et la technique dite « additive » de Philip Glass.
Commençons par le canon revu par les Répétitifs, en
particulier Terry Riley et Steve Reich. La partition de In C (1964), qui
est considérée comme l’œuvre « emblématique » du minimalisme répétitif, est une unique page sur laquelle
sont notées cinquante-trois figures mélodiques tonales. Le nombre et le choix
des instruments sont laissés libres. L’instrumentiste chargé de marquer la
pulsation débute la pièce, puis chaque instrumentiste fait son entrée lorsqu’il
le désire et répète chaque formule mélodique (de la première à la
cinquante-troisième, sans qu’il soit obligatoire de les jouer toutes) autant de
fois qu’il le souhaite[9]. Cette
pièce repose donc sur le principe du canon, principe en usage depuis des
siècles dans la musique occidentale. Et Riley n’apporte rien, l’extrême
répétition mise à part, à cette technique d’écriture. Quant à Steve Reich, il fait
usage dans toutes ses premières compositions, à commencer par It’s Gonna
Rain (1965), de ce qu’il appelle le « décalage de phase » (phase
shifting) ou déphasage. Le principe en est très
simple : le même fragment musical est joué sur deux canaux différents d’un
appareil audio, ou sur deux instruments différents si on l’applique à la
musique instrumentale, et on décale légèrement les deux canaux, ou instruments,
d’une fraction de seconde, ou d’un temps, en augmentant progressivement le
décalage jusqu’à revenir au point de départ, c’est-à-dire à l’unisson. Une
nouvelle fois, ce principe n’est ni plus ni moins qu’une forme de canon[10]. Ici,
le décalage entre les voix, plus réduit que dans un canon traditionnel
(décalage d’une seule note par exemple), produit des effets acoustiques relativement
nouveaux. Mais le principe lui-même reste traditionnel.
La technique dite « additive » inventée par Philip
Glass est-elle plus originale que le canon répétitif ? Glass l’utilise dans
toutes ses premières compositions, notamment Strung Out pour violon
électrique (1967). Il écrit une ligne mélodique (tonale ou modale) puis la
répète (plusieurs fois) en ajoutant (ou supprimant) un élément nouveau (une
note), puis il répète (plusieurs fois) cette nouvelle mélodie en ajoutant (ou
supprimant) un autre élément nouveau et ainsi de suite. Selon le musicologue
Célestin Deliège : « Le processus additif, Glass le décrit à la fois
comme très simple et très complexe. Cette soi-disant complexité proviendrait de
l’addition ou de la soustraction d’un son lors de la répétition des séquences.
Il est cependant flagrant que les séquences se succèdent avec une simplicité,
voire une puérilité désarmante. Même les patterns rythmiques superposés et de
longueur inégale, mais synchrones au départ et à l’aboutissement, n’offrent
guère de résistance à l’auditeur. »[11]. La
qualité de la musique de Glass ne semble pas convaincre le musicologue, mais
force est de reconnaître que cette technique d’écriture lui est propre. Encore
une fois, le contenu de la musique (son langage notamment) est tout à fait
traditionnel mais sa forme présente bien un aspect (formel) un peu nouveau.
Finalement, comment caractériser cette musique ? Steve
Reich nous guide sur la bonne voie en déclarant ceci : « Après Schoenberg, Berg et Webern survint une pause suivie de Stockhausen, Boulez et Berio et après vinrent moi-même, Riley, Glass, Young et d’autres plus tard.
Ce groupe de compositeurs récemment apparus, dont je fais partie, a engagé
quelque chose qui, d’une part est tout à fait nouveau au niveau de la structure
musicale, de la répétition et de la lenteur du changement harmonique et qui,
d’autre part est un processus de restauration. Restauration de la mélodie, du
contrepoint et de l’harmonie dans un contexte que l’on peut reconnaître mais
qui est totalement nouveau… »[12]. Comme
nous l’avons vu, la nouveauté est très relative, en revanche le
« processus de restauration » est plus évident. On peut donc
considérer la musique répétitive comme néo-conservatrice. Cette prise de
position esthétique est la traduction d’une position dans l’espace social des
compositeurs qui diffère radicalement de celle qu’occupaient ordinairement aux
États-Unis les compositeurs d’avant-garde depuis au moins la Seconde Guerre
mondiale, à savoir la dépendance à l’égard du « marché » de la
musique.
La dépendance des compositeurs
répétitifs vis-à-vis du « marché » de la musique
Dans un entretien avec Michel Foucault (en 1983), Pierre
Boulez s’en prend au relativisme culturel dans le domaine musical (toutes les
musiques se valent[13]) et
fait la remarque suivante : « L’économie est là pour nous le rappeler, au
cas où nous nous perdrions dans cette utopie fadasse : il y a des musiques
qui rapportent et qui existent pour le profit commercial ; il y a des
musiques qui coûtent, dont le projet même n’a rien à voir avec le profit. Aucun
libéralisme n’effacera cette différence. »[14]. L’exemple
de la musique répétitive ne peut que conforter ce point de vue. Elle est en
effet produite dans le but de rapporter de l’argent. Leurs auteurs en dépendent
pour vivre. Ceux-ci ont fait le choix de dépendre du « marché » de la
musique, rejetant ainsi toutes les institutions garantissant habituellement
l’autonomie des compositeurs étasuniens d’avant-garde.
Ils rompent en premier lieu avec l’Université (et, plus
largement, avec les institutions supérieures d’éducation musicale comme les
conservatoires[15]),
l’institution (à but non lucratif) qui, aux États-Unis depuis la Seconde Guerre
mondiale, est le principal soutien à la création musicale savante. En effet, les
œuvres produites dans les lieux de diffusion de la musique savante (salles de
concert, maisons d’opéra, radios, etc.) restent, en très grande
majorité, celles des compositeurs européens classiques et romantiques. Parmi les compositeurs
américains, seuls quelques rares élus parviennent à se faire jouer
régulièrement par les plus grands orchestres et à gagner leur vie grâce à leur
musique. Pour tous les autres, le soutien des universités est déterminant.
Comme l’explique Jann Paster, « le réseau constitué par les universités
est prédominant : depuis la Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis, ce
sont les universités qui ont permis que soit écrite, pensée et même jouée la
plus grande part de la musique contemporaine dite "savante" »[16]. L’Université
est l’institution qui garantit l’autonomie de la création musicale : « En
règle générale, écrit Paster, les universités sont prêtes à soutenir tout ce
qui ne serait pas accepté par le monde commercial »[17].
L’écrasante majorité des compositeurs savants, qu’ils soient conservateurs ou
d’avant-garde, travaillent dans une université. Jann Paster estime en effet, au
milieu des années 1980, que 90 à 95 % des compositeurs (de toutes tendances)
travaillent dans l’enseignement supérieur[18]. Non
seulement l’Université leur garantit une situation professionnelle enviable
mais elle leur permet aussi de faire jouer leurs œuvres (dans les salles de
concert des campus)[19].
Les compositeurs répétitifs se détournent donc de
l’Université : Philip Glass n’y a jamais enseigné[20], et les
autres renoncent à l’enseignement à partir du moment où ils peuvent vivre de
leur musique[21].
Ils dépendent du marché pour vivre et, en premier lieu, des concerts qu’ils donnent
avec leur propre ensemble ou en dirigeant leur œuvre. Ils gagnent aussi de
l’argent grâce à la vente de disques. In C (1964), dont l’enregistrement
est distribué par Columbia en 1968, est le premier « succès
commercial » du genre. Selon Robert Schwarz, cette œuvre permet au
minimalisme de sortir des lofts et des galeries pour devenir une « force
commerciale »[22]. Bien
d’autres enregistrements de musique répétitive obtiendront également un succès
commercial relativement important. Par exemple, celui de Music for 18
Musicians en 1978 de Steve Reich par la maison de disque ECM se vend la
première année à plus de 20 000 copies et dépasse les 100 000 copies
en quelques années[23], chiffre
considérable pour un disque de musique « contemporaine ». Les disques
de Philip Glass se vendent mieux encore (parfois jusqu’à 200 000 copies[24]). Et le
disque de la chanson intitulée « O Superman » (1981) de Laurie
Anderson, distribué par 110 Records (tiré au départ à 1000 copies), connaît
même un succès commercial exceptionnel aux États-Unis et en Europe : il
entre dans le classement des meilleures ventes de disques pop en Angleterre (où il occupe la deuxième place du classement) et
aurait rapporté plus d’un million de dollars[25]. Par
ailleurs, les compositeurs répétitifs reçoivent des commandes, parfois
richement dotées, en particulier pour l’opéra[26] ou le
cinéma[27].
Jusqu’aux années 1960, les nouveaux tenants de la musique
moderne entraient en concurrence avec les compositeurs d’avant-garde consacrés.
Tous (nouveaux et anciens compositeurs d’avant-garde) s’opposaient à
l’académisme et revendiquaient une autonomie complète vis-à-vis de l’argent (d’où
la grande méfiance à l’égard de tout ce qui était considéré comme
« commercial »). Les compositeurs répétitifs s’opposent à leur tour à
l’académisme mais en refusant l’autonomie des compositeurs d’avant-garde
(assurée notamment par l’Université). Ils ne luttent pas contre la sphère
musicale académique sur sa gauche mais sur sa droite, en se positionnant entre
cette sphère et la sphère « commerciale ». Il s’agit d’un
renversement complet de la position occupée par le compositeur d’avant-garde
dans l’espace social des compositeurs.
Pour être précis, dans l’histoire du minimalisme répétitif, nous pouvons distinguer les
compositeurs respectés ou reconnus par leurs pairs, comme Steve Reich et John Adams, des compositeurs plus
dépendants du marché et moins bien considérés dans le champ musical savant, comme
Terry Riley, Philip Glass et Laurie Anderson. Au fil du temps les
oppositions sont plus marquées. D’un côté, les compositeurs les plus respectés
se rapprochent de la sphère académique. Steve Reich et John Adams ont été admis assez rapidement dans les
institutions académiques étasuniennes. Ils ont notamment été élus à l’Académie
Américaine des Arts et des Lettres : Steve
Reich en 1994 (à l’âge de 54 ans) et John Adams en 1997 (à l’âge de 50 ans) ; alors que,
à ce jour, seul Philip Glass a eu cet honneur et seulement en 2003 (à l’âge de 66
ans). Leur musique tend à perdre de ses aspérités avec le temps. Celle de John
Adams en particulier, devient de moins en moins
répétitive et se rapproche d’une musique néoromantique[28].
D’un autre côté, le succès commercial est croissant pour
les Répétitifs proches du secteur commercial. Terry Riley obtient un succès notable mais éphémère à la
fin des années 1960. Philip Glass se rapproche davantage des industries
culturelles. Selon Robert Schwarz, Glass est devenu un « phénomène de la
culture de masse » : une publicité affirme que « Philip Glass
boit du scotch Cutty Sark »[29],
le compositeur participe à des émissions télévisées de grande écoute (il
apparaît même dans un dessin animé) et on en discute beaucoup dans la presse[30]. Pour
Célestin Deliège, « Glass est le plus inféodé au système industriel
américain, notamment par ses contrats d’enregistrement, de cinéma et de
télévision »[31]. De
plus, très lié au monde du rock depuis les années 1970, il joue dans des clubs
avec son ensemble, intéresse et influence nombre de musiciens
« rock » et collabore avec plusieurs d'entre eux sur son album Songs
from Liquid Days (1986). Philip Glass confesse d’ailleurs sa proximité esthétique à
la musique pop en déclarant : « Quand j’ai entendu Donna Summer pour
la première fois, j’ai simplement ri. J’ai dit, "C’est exactement ce que
nous faisons !" Comment ne pas le voir ? »[32].
Avec Laurie Anderson, on ne sait plus s’il s’agit
de musique savante ou de musique pop.
Les stratégies de la compositrice sont empruntées à la sphère de la musique pop (production d’un
« album », sortie d’un « single »,
tournage de clips vidéo pour la promotion de ses chansons, etc.) et elle décroche
un succès commercial record avec sa chanson « O Superman ». Anderson
poursuit une double carrière dans le monde savant et le monde de la pop. Véritable artiste caméléon, elle
s’intègre parfaitement à plusieurs univers : les médias
dominants (elle participe à différentes émissions télévisées, notamment en
1986 au « Saturday Night Show ») ; le show
business (Anderson fréquente les vedettes de la musique pop comme Peter Gabriel, Paul Simon,
Bruce Springsteen, et Lou Reed[33] avec
qui elle se marie en 2008) ; et elle joue à la fois dans les lieux dédiés
à la culture savante et ceux réservés à la musique pop. Eric Salzman, qui fait remarquer que Laurie Anderson n’est pas
facile à classer[34],
définit l’accompagnement musical sur lequel elle récite ses textes comme un « son
minimaliste dérivé du rock »[35].
Certes, les chansons abordent des questions plus ou moins philosophiques ou
politiques, mais il n’y a pas trop d’ambiguïté sur sa musique, très proche de
la musique pop-rock.
L’assimilation d’un certain « minimalisme » à la
musique pop (et plus particulièrement
le rock) semble se poursuivre après la fin des années
1980, si l’on en juge par les productions de jeunes compositeurs comme Paul
Dresher (né en 1951) ou Mikel Rouse (né en 1957). Ce dernier n’est d’ailleurs pas
toujours considéré comme un compositeur savant. Ainsi, Against All Flags
(1988) a-t-il été qualifié de « Pop Album of the Week » (album pop de la semaine) par le New York
Times.
Cette évolution de la musique répétitive, susceptible d’aboutir
à une assimilation des descendants du minimalisme répétitif par la sphère académique d’un
côté, par celle de la musique pop de
l’autre, pourrait alors être considérée comme un phénomène
transitoire conduisant à la réintégration d’une partie de la « musique
nouvelle » dans l’ordre culturel dominant (académique et commercial), réaction
contre la modernité musicale et remise en cause de l’autonomie de la création
musicale. Pierre Bourdieu écrit que la conquête de l’autonomie est un processus
qui n’a « rien d’une sorte de développement linéaire et orienté de type
hégélien et que les progrès vers l’autonomie pouvaient être
interrompus » ; c’est le cas actuellement :
« l’indépendance, difficilement conquise, de la production et de la
circulation culturelle à l’égard des nécessités de l’économie se trouve
menacée, dans son principe même, par l’intrusion de la logique commerciale à
tous les stades de la production et de la circulation des biens
culturels »[36].
En effet « l’intrusion de la logique commerciale » dans tous les
secteurs du champ musical, y compris celui de la musique
« nouvelle », menace directement les conditions sociales de
possibilité de la création musicale.
L’effet d’allodoxia d’une production musicale en simili
Face à ce qui peut être considéré à la fois comme une
imposture (production d’avant-garde en simili) et une menace pour les conditions
de production de la musique moderne, quelle a été la réaction ? La musique
répétitive a-t-elle rencontré une certaine résistance ? De la fin des années
1960 au milieu des années 1980, elle est loin de faire l’unanimité au sein du
champ musical, en Europe comme aux États-Unis. Les commentaires sont parfois
très hostiles : la pièce In C de
Riley fut huée lors de son exécution en 1969 à Darmstadt[37] ; Four Organs de Steve Reich fit scandale
lors de sa création au Carnegie Hall (New York) en 1973[38] ;
et le critique Donald Henahan déclara dans le New York Times (en 1987)
que John Adams a « fait pour l’arpège ce que MacDonald a réalisé pour le
hamburger »[39].
Cependant, les minimalistes répétitifs trouvent rapidement des soutiens au sein
du champ musical, aux États-Unis comme en Europe[40].
La reconnaissance de la musique répétitive est même
particulièrement rapide. En règle générale, plus un courant est original, plus
il faut du temps pour l’accepter. À l’inverse, une production reposant sur des
règles déjà bien admises peut être immédiatement acceptée. On ne sera donc pas
surpris de constater que la musique répétitive, courant très conservateur par
bien des aspects, fut rapidement reconnue. En général, il ne faut pas plus de quatre
ans[41] à un
compositeur répétitif pour obtenir un début de reconnaissance aux
États-Unis. C’est très rapide en regard des compositeurs d’avant-garde comme
ceux de l’École de New York (John Cage et ses amis[42]) qui se
sont distingués dans les années 1950-1960[43].
La diffusion d’une
représentation inversée du champ musical
Comment a-t-on légitimé ce type de musique dont la nature
(tant musicale que sociale) est aussi étrangère au monde de la
musique moderne ? Aux États-Unis, ses partisans ont usé d’arguments
reposant sur une nouvelle représentation du champ musical, notamment l’idée que
la liberté du compositeur est garantie non plus par des institutions à but
non lucratif (comme l’Université) mais par le « marché ». Ainsi, à New
York, en 1981, est organisé un colloque sur les voies nouvelles de la
création musicale au cours duquel le critique musical du Village Voice
Gregory Sandow (né en 1943) s’en prend aux compositeurs modernes comme Milton
Babbitt (1916-2011), Elliott Carter (1908-2012) ou Charles Wuorinen (né en 1938) qu’il
juge « académiques » et « élitistes », et qui écrivent selon
lui de la « musique morte » que personne ne veut entendre. Il défend
en revanche la musique rock et le
« minimalisme », notamment la « musique nouvelle » de
Philip Glass[44]. Il s’agit ici d’une complète inversion des
positions (et prises de position) : les compositeurs néo-conservateurs
comme Glass[45] sont situés près du
pôle le plus hétéronome du champ musical (le pôle « commercial »).
On les présente pourtant comme les vrais rebelles qui s’attaquent aux
conservateurs, à savoir les compositeurs modernes, pourtant situés vers le
pôle le plus autonome du champ musical.
Cette représentation inversée des positions fait penser à
ce qui se produit dans le champ politique, lorsque les « néo-libéraux »
tentent de faire passer des positions conservatrices pour des positions
progressistes. La gauche paraît ainsi conservatrice et, à l’inverse, la
droite progressiste. Pierre Bourdieu rappelle que les
idées « néo-libérales » ont été produites par des think tanks qui
« ont dû, pour être en mesure de rompre avec la tradition du Welfare
State, opérer une véritable contre-révolution symbolique et produire une doxa
paradoxale : conservatrice, elle se présente comme
progressiste ; restauration du passé dans ce qu’il a parfois de plus
archaïque (en matière de relations économiques notamment), elle fait passer
des régressions, des rétrocessions pour des réformes ou des révolutions. (…)
Combattre une telle politique, c’est s’exposer à apparaître comme archaïque
lorsqu’on défend les acquis les plus progressistes du passé »[46]. Les
néo-conservateurs de la musique imposent à la fois une production (minimalisme
répétitif) mais également une représentation du champ musical dans laquelle
la dépendance à l’égard du « marché » de la musique est décrite
comme une libération[47].
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La consécration d’une production néo-conservatrice se fait
au détriment des compositeurs minimalistes qui n’ont renoncé ni à la modernité
ni à l’autonomie. Dans un numéro de la revue Newsweek publié en 1982, un
article sur le « minimalisme » indique que « les fondateurs du
minimalisme sont Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass » ; le
compositeur et critique Tom Johnson (né en 1939) réplique dans le Village
Voice (daté du 27 juillet 1982) par un article intitulé « The Original
Minimalists » dans lequel il se demande pourquoi on oublie de parler de La
Monte Young et propose une liste des pionniers du minimalisme bien différente
de celle de Newsweek[48]. Dans
les médias, on ignore la plupart du temps les compositeurs minimalistes n’ayant
pas rompu avec la modernité, comme Alvin Lucier (né en 1931), Gordon Mumma (né
en 1935), Philip Corner (né en 1933) ou Phill Niblock (né en 1933)[49]. Ces
derniers se distinguent des Répétitifs par leurs prises de position (adhésion à
la modernité la plus radicale qui soit) et leur position dans le champ
musical (ils travaillent tous à l’Université).
Que les compositeurs à succès occupent le devant de la
scène médiatique n’a rien de surprenant. Mais qu’ils retiennent l’attention des
musicologues et historiens de la musique au détriment des compositeurs plus
originaux est plus inhabituel. Ainsi, la quatrième édition du livre d’histoire
de la musique occidentale de Grout et Palisca s’achève par une présentation du
« minimalisme », dans laquelle ne sont évoqués que La Monte Young,
Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass[50]. Plus
récemment, l’ouvrage de Richard Taruskin consacré à la musique depuis 1945 (Music
in the Late Twentieth Century), fait la part belle aux musiques néo-tonales
dites « postmodernes », notamment la musique répétitive. Selon
l’auteur, les productions artistiques « postmodernes » sont
« les formes d’art les plus innovantes du dernier quart du XXe
siècle », et tous les compositeurs de talent qui se font connaître durant
les deux dernières décennies du XXe siècle en Amérique sont des
compositeurs de musique néo-tonale[51]. Si
l’on suit Taruskin une sorte de consensus se serait imposé dans le monde
musical étasunien autour du langage tonal (qui est celui des Répétitifs).
Ce n’est pas tout à fait exact (il y a encore des productions non tonales,
ignorées ici par l’auteur), mais cette tendance au consensus semble bien réelle
si l’on en juge par le nombre considérable de compositeurs reconnus qui
adoptent cette position.
Et la ressemblance avec ce qui se produit dans le champ
politique au même moment est assez frappante. Le néo-libéralisme a convaincu un
nombre étonnant d’agents et d’organisations politiques, de « droite »
comme de « gauche ». Un consensus semble ainsi s’imposer dans ce
monde social, où les positions les plus critiques (notamment celles de la
gauche radicale) sont complètement marginalisées. Le capitalisme, et plus
précisément la logique de « marché », fait de plus en plus unanimité.
Pourtant, il n’est pas difficile d’observer ses effets dévastateurs, comme le fait
Alain Accardo : « Le véritable mal dont souffrent la société
américaine et, dans son sillage, les sociétés européennes, n’est pas exogène
mais endogène. C’est la généralisation d’un mode de vie intimement lié à
l’économie capitaliste, à sa violence consubstantielle et à sa
logique fondamentale : celle de la transformation de tous les espaces
sociaux en marchés à conquérir (…). Cette logique impitoyable a
progressivement, au fil des générations, transformé la civilisation occidentale
en paravent respectable à l’abri duquel règne la loi de la jungle sociale qui
s’énonce : profit maximal dans un délai minimal »[52]. Parmi les
effets les plus dévastateurs des politiques néo-libérales, appliquées depuis
les années 1970-1980 aux États-Unis comme en Europe[53], notons
le démantèlement des services publics et l’augmentation spectaculaire des
inégalités économiques[54]. La
révolution conservatrice dans le champ musical est évidemment un phénomène bien
moins dramatique que la régression sociale dont il est question. Les mêmes
causes ne produisent pas les mêmes effets selon les champs sociaux. Cependant,
il s’agit d’un recul évident de la conquête de l’autonomie aux effets déjà néfastes
sur la qualité des productions musicales récentes. Cette régression dans le
champ musical ne rencontre actuellement pas plus d’opposition que celle observée
dans le champ politique.
Laurent Denave
[1]
Cet article reprend et développe des éléments du second chapitre de la
cinquième partie de mon ouvrage : Laurent Denave, Un siècle de création musicale
aux États-Unis. Histoire sociale des productions les plus originales du monde
musical américain, de Charles Ives au minimalisme (1890-1990), Genève, Contrechamps, 2012, p.
293-323. Il doit beaucoup, tant au niveau de la forme que du fond, aux
multiples relectures critiques de Julie Pannetier que je remercie. Je voudrais
remercier également Nicolas Vayssié et Sophie Denave pour leur aide.
[2] Pierre
Bourdieu, « La culture est en danger » (2000), in Contre-feux 2,
Paris, Raisons d’agir, 2001, p. 79.
[3]
Autrement dit, la musique savante nouvelle composée au XXe siècle.
[4] Ibid.,
p. 82-83.
[5] On
parle ainsi de cette musique dans les ouvrages sur la musique
« moderne ». Par exemple : Paul Griffiths, Brève histoire de la musique moderne. De Debussy à Boulez, Paris,
Fayard, 2004 [1992], p. 162-164 ; Jean-Noël von der Weid, La musique du
XXe siècle, Paris, Hachette, 1997, p. 237. Et l’on présente même
Steve Reich (mais c’est le cas également de ses collègues répétitifs) comme un
compositeur « d’avant-garde », bien que ce dernier ne se soit jamais
considéré comme tel : « La position de Steve Reich est donc
paradoxale : reconnu comme un des chefs de file de la "nouvelle
musique" américaine, il ne croit pas, en fait, à la musique expérimentale
et se réfère constamment à la “tradition” » (Béatrice Reynaud in Steve
Reich, Écrits et entretiens sur la musique, Paris, Bourgois, 1981, p. 36).
[6]
Comme le note Loïc Wacquant, l’une des logiques institutionnelles du
néolibéralisme est « la dérégulation économique, qui consiste en fait en
une re-régulation visant à promouvoir le "marché" ou des mécanismes
de type marchand » (Loïc Wacquant, « La fabrique de l’État
néolibéral : insécurité sociale et politique punitive », in Romuald
Bodin [dir.], Les métamorphoses du
contrôle social, Paris, La dispute, 2012, p. 252).
[7]
Pourtant, les compositeurs répétitifs célèbres ont tous commencé par adhérer à
la modernité de leur temps (durant leurs études ou au début de leur carrière), avant
de rompre avec elle. Depuis au moins la fin des années 1940, tout compositeur
renouant avec des principes traditionnels ne pouvait sérieusement se considérer
comme « moderne ». Ce n’est plus le cas avec les compositeurs
répétitifs qui renoncent à la posture moderne (caractérisée notamment par le
rejet de la tonalité) sans pour autant renoncer à la prétention de se
considérer comme original ou novateur.
[8] C’est
d’ailleurs certainement la raison pour laquelle, bien que renouant avec des
traits traditionalistes, cette musique peut rebuter le mélomane conservateur
(qui apprécie habituellement Mozart ou Beethoven).
[9] Keith Potter, Four Musical
Minimalists, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 112.
[10]
Reich le reconnaît lui-même : « Reich rappelle volontiers que le terme de
"phase" n’est qu’un terme technique qu’il a appliqué en analogie avec
le travail sur bande, et concède que finalement le processus de phase n’est
autre qu’une nouvelle exploration d’une forme canonique surexploitée à travers
tous les âges de l’histoire de la musique » (Jérôme Bodon-Clair, Le langage
de Steve Reich, Paris, L’harmattan, 2008, p. 19).
[11]
Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale : de Darmstadt à
l’Ircam, Belgique, Mardaga, 2003, p. 646.
[12] Jean-Claude
Gaillard, Le dernier Schoenberg : synthèse et dépassement, Lille,
Atelier National de Reproduction des Thèses, p. 118.
[13]
« Est-ce en parlant des musiques, et en affichant un œcuménisme
éclectique, qu’on va résoudre le problème ? Il semble bien, au contraire,
qu’on escamote – en phase avec les tenants de la société libérale avancée.
Toutes les musiques, elles sont bonnes, toutes les musiques, elles sont
gentilles, Ah ! le pluralisme, il n’y a rien de tel comme remède à
l’incompréhension. Aimez donc chacun dans votre coin et vous vous aimerez les
uns les autres. Soyez libéraux, soyez généreux pour les goûts d’autrui, il y
aura parité pour les vôtres. Tout est bien, rien n’est mal ; il n’y a pas
de valeurs, mais il y a le plaisir. » (Pierre Boulez, « La musique contemporaine
et le public », in Regards sur autrui [Points de repère, tome II],
Paris, Bourgois, 2005, p. 484).
[14] Idem.
[15]
Aux États-Unis, il n’y a pas vraiment de différence entre un département de
musique de haut niveau et un conservatoire.
[16] Jann
Paster, « Musique et institution aux États-Unis », Inharmoniques,
Paris, IRCAM & Christian Bourgois, Mai 1987, p. 105.
[17] Ibid.,
p. 118.
[18] Ibid.,
p. 106.
[19] En
1968, une étude indique que 70 % des concerts donnés par des musiciens
professionnels aux États-Unis ont lieu dans des universités (ibid., p.
110).
[20]
La musique répétitive de Glass, contrairement à ses
premières compositions, ne séduit personne (ou presque) pendant environ dix ans.
Il doit vivre de petits boulots (il est notamment chauffeur de taxi de 1973 à
1978). Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1970 qu’il peut gagner sa vie
grâce à sa musique. À Manhattan, Glass travaille dans un lieu où sont
rassemblés maison d’édition, maison de production et studio d’enregistrement,
pour lesquels travaillent plusieurs personnes à temps plein (musiciens,
ingénieur du son, etc.), ce qui donne l’impression d’une véritable petite
entreprise. Ses hauts revenus lui permettent de vivre très confortablement. Il
peut acheter en 1984 une maison datant du XIXe siècle dans le
quartier de East Village.
[21] Avant
de pouvoir vivre de leur musique : Steve Reich a enseigné pendant plusieurs années à
l’Université dans les années 1960 ; John Adams a enseigné au Conservatoire de San Francisco (de 1972 à 1982) avant d’être compositeur en
résidence au sein de l’Orchestre symphonique de San Francisco (1982-1985) ; et Laurie Anderson a
enseigné dans différents colleges.
Seul Terry Riley enseignera au Mills College à partir des années 1970, lorsque
l’œuvre qui l’a fait connaître sera déjà réalisée.
[22] Robert Schwarz, Minimalists,
London, Phaidon Press, 1996, p. 44.
[23] Robert Fink,
« (Post)Minimalisms 1970-2000 : The Search for a new Mainstream », in
Nicholas Cook & Anthony Pople (eds.), The Cambridge History of
Twentieth-Century Music, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p.
549.
[24] L’enregistrement
de Einstein on the Beach s’est vendu à plus de 100 000 copies (un
record pour un opéra), Glassworks (1981) à plus de 175 000 copies (ibid.,
p. 151) ; et Low Symphony à plus de 200 000 copies en trois
ans (Elise Kirk, American Opera, Urbana & Chicago, University of
Illinois Press, 2001, p. 337).
[25] Richard Taruskin, Music in
the Late Twentieth Century, New York, Oxford University Press, 2010, p.
494. Après ce succès, Anderson signe un contrat avec une grande
maison de disque (Warner).
[26]
Le Metropolitan Opera a offert à Philip Glass 325 000 dollars pour la
commande de son opéra The Voyage (1990),
la somme la plus importante jamais offerte par cette institution à un
compositeur (Elise Kirk, American Opera, op. cit., p. 359).
[27] Entre
1977 et 2002, Philip Glass compose 27 musiques de film, notamment celles de North
Star (1977), Hamburger Hill (1987) et Kundun (1997).
[28]
Cela a d’ailleurs provoqué la colère des partisans d’un minimalisme pur et dur,
notamment après la création d’Harmonielehre pour orchestre en 1985.
[29] Robert Schwarz, Minimalists, op.
cit., p. 108.
[30]
En 1983, ce compositeur a déjà fait parler de lui dans Time Magazine
(deux fois), Newsweek (deux fois), Horizon, Esquire et le New
York Times (Robert Fink, « [Post]Minimalisms 1970-2000 : The
Search for a new Mainstream », op. cit., p. 549).
[31] Célestin
Deliège, Cinquante ans de modernité musicale, op. cit., p. 648.
[32] Johan
Girard Répétitions. L’esthétique musicale de Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass, Paris, Presses Sorbonne
nouvelle, 2010, p. 13.
[33] Laurie
Anderson collabore avec le chanteur et guitariste de rock Lou Reed (1942-2013)
sur « In Our Sleep » (1995), une chanson pop-rock. Depuis les années
1990, les deux artistes ont collaboré sur d’autres projets (plusieurs disques
et concerts).
[34] Eric Salzman, Twentieth-Century
Music, An Introduction, Englewood
Cliffs (New Jersey),
Prentice Hall, 1988, p. 228.
[35] Ibid., p. 239
[36]
Pierre Bourdieu, « La culture est en danger », art. cit., p. 76.
[37] Cf. Richard Toop, György Ligeti, London, Phaidon, 1999, p.
146.
[38] Un critique allemand a même
parlé de « fascisme musical » à propos de la musique de Steve Reich (Amy
Beal, Patronage and Reception History of American Experimental Music in West
Germany, 1945-1986, Ph. D., The University of Michigan, UMI, 1999, p. 272).
[39] Thomas May, The John Adams
Reader, Essential Writings on an American Composer, Pompton Plains (New
Jersey), Amadeus Press, 2006, p. XIV.
[40]
Les agents (et institutions) européens ont d’ailleurs largement contribué à la
reconnaissance de la musique répétitive. Certains critiques ont pris
ouvertement position pour cette musique (notamment Hans Otte, Daniel Caux et
Michael Nyman). On s’intéresse tout
particulièrement à la musique de Steve Reich, mais également à celle de Philip
Glass (surtout à ses opéras), « au point, écrit Célestin Deliège, que l’on
peut légitimement se demander si ce n’est pas l’Europe, plus que l’Amérique,
qui a donné au minimalisme des lettres de noblesse dans les années 70 »
(Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale, op. cit., p. 645).
[41]
Il suffit de comparer la date de leurs premières pièces répétitives avec celle
d’un début de reconnaissance : 1961 et 1964-1968 pour Terry Riley, 1965 et
1967-1971 pour Steve Reich, 1967 et 1974 pour Philip Glass (mais Glass avait
déjà été reconnu auparavant pour son premier style), 1976 et 1980 pour John
Adams, 1976 et 1979-1981 pour Laurie Anderson.
[42]
John Cage (1912-1992) se fait remarquer au bout de 6 ou 7 ans (et il lui faudra
encore attendre 9 ans pour être véritablement reconnu dans le champ musical),
Morton Feldman (1926-1987) fait vraiment parler de lui au bout de 14 ans
environ, Earl Brown (1926-2002) se fait connaître au bout de 8 ans environ,
quant à Christian Wolff (né en 1934), on parle très peu de lui avant les années
1960 et surtout les années 1970, c’est-à-dire 10 à 20 ans après l’écriture de
la première composition typique de son style.
[43]
On remarque d’ailleurs le même phénomène dans d’autres domaines culturels. Ainsi,
le « Pop art », dont on ne sait pas trop non plus s’il appartient à
la culture savante ou populaire (tant au niveau des productions que des
conditions de production), a obtenu un succès beaucoup plus rapidement que les
formes d’art moderne qui lui ont précédées. Le Pop art aurait été consacré en à
peine 4 ans alors qu’il a fallu environ 10 ans pour l’Expressionnisme abstrait
(Diana Crane, The Transformation of the Avant-Garde. The New York Art World, 1940-1985, Chicago, University of Chicago
Press, 1987, p. 39).
[44] Nicholas Tawa, A Most Wondrous
Babble, American Art Composers, Their Music, and the American Scene, 1950-1985,
New York, Greenwood Press, 1987, p. 42-45.
[45]
Nous laissons de côté la question de savoir si, comme le pense Sandow, la
musique rock (musique « commerciale » s’il en est) est véritablement
une musique « nouvelle ».
[46]
Pierre Bourdieu, « Pour un savoir engagé » (1999), in Contre-feux
2, op. cit., p. 38.
[47]
Un des arguments avancés par les néolibéraux de la culture est que le libre
marché permet la mise en concurrence de produits très divers. Or, comme le
rappelle Pierre Bourdieu, on constate au contraire que la concurrence
homogénéise, car le marché est monopolisé par quelques grandes multinationales
qui proposent toujours plus ou moins les mêmes marchandises, « la poursuite
du public maximum conduisant les producteurs à rechercher des produits omnibus,
valables pour des publics de tous milieux et de tous pays, parce que peu
différenciés et différenciants » (Pierre Bourdieu, « La culture est
en danger », art. cit., p. 77-78).
[48]
Cf. Tom Johnson, “Minimalism in Music: in search of a Definition”, Introduction
pour le catalogue de l’exposition Musica Silenciosa (Madrid), 2001.
[49]
Cf. Laurent Denave, Un siècle de création musicale aux États-Unis, op. cit., p. 300-304.
[50] Donald Jay Grout & Claude
Palisca, A History of Western Music, New York, Norton, 1988, p. 533-535.
[51] Richard Taruskin, Music in the
Late Twentieth Century, op. cit., p. 351 & p. 454.
[52]
Alain Accardo, Engagements, Chroniques et autres textes (2000-2010),
Marseille, Agone, 2011, p. 206-207.
[53] Cf. Loïc Wacquant, Punishing the Poor. The Neoliberal
Government of Social Insecurity, Durham, Duke University Press, 2009.
[54]
De 1973 à 1988, le revenu moyen des 20 % des familles les moins riches du pays
a diminué de 32 %, celui de la tranche suivante (c’est-à-dire des 20 % des
familles américaines légèrement moins pauvres que les précédentes) a diminué de
18 % (Richard Du Boff, Accumulation & Power, An Economic History of the
United States, New York, Sharpe, 1989, p. 131). A l’inverse, les familles
riches sont devenues encore plus riches. Entre 1983 et 1989, 99 % de
l’augmentation des richesses a été monopolisée par les 20 % au sommet de la
pyramide des revenus, 62 % aux seuls 1 % les plus riches.
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