vendredi 14 mars 2025

Vidéo, The Riddler & L'inhumanité

 Une très bonne analyse du parcours de The Riddler, le tueur en série qui apparait dans le dernier Batman, qui s'appuie sur mon bouquin "L'inhumanité" :

 

 

 

mardi 4 mars 2025

« Rien foutre » (P. Carles) ou imposer à l’Etat sa vision/gestion du travail (B. Friot) ?

 [Ce billet illustre la définition du "travail" donnée par Bernard Friot par la critique de deux documentaires de Pierre Carles, définition qui s'éloigne à la fois du "rejet du travail" (très répandu dans le monde libertaire) et de la défense de la "valeur travail" (qui enthousiasme la droite comme la fausse gauche à la Ruffin ou Roussel)]

Deux documentaires du très bon réalisateur Pierre Carles, Attention danger travail (2003) et Volem rien foutre al païs (2007), traitent de la question du « travail ». Dans le premier, on nous montre les aspects les plus détestables du monde de l’entreprise (recrutement avec propagande patronale, management qui pousse les « collaborateurs » à être le plus productif possible, travail à la chaîne épuisant et démoralisant, etc.) alternant avec des entretiens avec des personnes heureuses d’être au chômage, qui ont renoncé à l’idée de trouver un emploi et ont malgré cela « une vie sociale très riche » (comme l’indique un intervenant). Ce film renforce donc notre détestation du monde du « travail » et notre désir de le fuir. Justement, le second documentaire nous propose des alternatives possibles. On suit des personnes ayant rompu avec le marché du travail, qui peuvent vivre du RMI ou de leur production (élevage ou agriculture). Alors que les forces politiques réactionnaires défendent la « valeur travail », il est tentant de la rejeter, comme le font certains protagonistes du film. Ce qui les amène à une réflexion sur la nature de leurs activités et la distinction entre « travail » et « activité » qui est en réalité un travail non reconnu socialement (c’est-à-dire par l’État)[1], comme l’a été (et l’est encore en partie) le travail domestique assigné généralement aux femmes. Le rejet du « travail » (qui est en réalité le rejet de l’« emploi » dans une entreprise capitaliste) est ambigu : il est à la fois une conquête sur la souveraineté de son travail (on est maître de ce que l'on fait et souhaite produire), mais également une concession faite à la représentation dominante de sa propre activité, qui n’est pas revendiquée ici comme étant un véritable travail. Et ce dernier point ne peut changer qu’à condition de mener une bataille contre l’État (capitaliste) qui décide de façon arbitraire de ce qui relève du « travail » ou pas. Autrement dit, la conquête d’une souveraineté sur son travail doit être menée à un niveau national, afin de changer les représentations[2] et la Loi.

 


 

jeudi 20 février 2025

Une critique sympa de L'inhumanité par "Tata culture" sur Insta


 

Le serial killer fascine et inquiète. Il est la rareté et l’horreur.
 
On veut comprendre son « profil ». Par là, on entend sa psychologie. Parfois, on recherche du côté de la génétique, espérant capter l’essence du « tueur-né ». On s’intéresse à sa mère (de temps en temps un peu à son père). À ses fréquentations, à ses lectures, à ses œuvres fétiches, aux jeux vidéos qu’il affectionne, aux bizarreries qu’il collectionne… La singularité du monstre est là pour dire qu’il ne montre rien d’autre que l’inhumanité. L’absence à la civilisation. La désertion de l’espèce.
 
Et si l’homme asocial avait en réalité tout d’une créature socialement fabriquée? Ou plutôt économiquement façonnée ?
 
La corrélation entre violences économiques et serial killing est insuffisamment inspectée, selon le sociologue Laurent Denave. Pourtant il y a de quoi s’y intéresser quand on observe la trajectoire économico-sociale des serial killers dans le pays qui en produit le plus, les Etats-Unis.
 

dimanche 8 décembre 2024

Conseil lecture Alternative libertaire

Le sociologue Laurent Denave nous livre ici un petit essai aussi original que percutant. Son sujet, les serial-killers. Dans une logique qui est celle qu'a adopté Émile Durkheim pour traiter des causes du suicide, l'auteur cherche à voir quelle est la part du social dans ces meurtres en séries. Tout en se dégageant des réponses psychologisantes et individualisantes. Selon l'auteur, "loin d'exprimer une forme de folie strictement individuelle sans mobile apparent, le meurtre en série est une réponse, aussi rare qu'extrême, à des logiques à l’œuvre dans la société étasunienne".
La monstruosité des serial-killers serait ainsi le reflet de la monstruosité d'une société libérale traversée par des déterminismes sociologiques forts, de l'injustice structurelle qui se manifesterait en retour par une appropriation des corps d'autrui, et principalement des corps féminins. Une lecture stimulante autant que surprenante. 
 
David (UCL, Savoies)
Alternative libertaire, décembre 2024.
 
 

 

jeudi 28 novembre 2024

Recension L'inhumanité (Monde diplomatique, décembre 2024)

  La mini-série Netflix Monstre. L’histoire de Jeffrey Dahmer (2022) revient sur le parcours d’un tueur en série qui a assassiné dix-sept hommes gays entre 1978 et 1991. Elle a rencontré l’un des plus gros succès de la plate-forme, confirmant la fascination pour le serial killer, ce « tueur en série » qui commet un meurtre « sans mobile apparent, à plusieurs reprises, selon un même mode opératoire et qui prend plaisir à tuer ». Laurent Denave propose de voir dans cette figure un fait social, reflet du capitalisme dans sa phase néolibérale : l’exposition précoce à la violence et à la précarité de personnes que le rêve américain va décevoir, et désireuses de revanche meurtrière. La médiatisation et l’obtention de trophées humains traduisent leur volonté de reconnaissance symbolique. Et elles prennent souvent pour cible le corps des femmes, qu’elles souhaitent posséder sans aucune limite. Une « revanche sociale réactionnaire », syndrome monstrueux de la « passion de la domination » de sociétés occidentales profondément inégalitaires.
 
 

  Selim Derkaoui

https://www.monde-diplomatique.fr/2024/12/DERKAOUI/67857 


jeudi 18 juillet 2024

Comment imposer de nouvelles mesures potentiellement révolutionnaires ?

  [Ce texte devait figurer dans Laurent Denave, Combattre la domination. De la démystification à l’émancipation, manuscrit inédit (disponible sur z-library).]

Beaucoup de militants voudraient « changer le monde sans prendre le pouvoir ». Des initiatives locales se multiplient, des petits îlots de résistance poussent ici ou là. Lutter hors du pouvoir, cela signifie ainsi « créer des cadres collectifs, des cantines autogérées des bibliothèques », etc., mais également « développer des cultures et des pratiques critiques  aptes à rivaliser avec la culture dominante ; construire des réseaux de structures alternatives, une puissance collective ; s'auto-éduquer collectivement et par la pratique à de nouvelles façons de fonctionner ; passer à l'action localement, ne pas attendre que le changement  nous arrive de l'extérieur »[1]. Ces expériences et pratiques sont importantes mais limitées : elles dépendent toujours des institutions (capitalistes et étatiques) existantes et laissent derrière elles la plus grande partie de la population, soumise à la violence sans limite du capitalisme. Le pouvoir peut s’en accommoder tant que cela reste à la marge de la société et n'implique qu'un faible nombre de gens. Mais si l’on veut véritablement changer le monde (et pas uniquement changer sa vie), il convient de changer les institutions nationales et les lois qui régissent la vie de l’ensemble des citoyens de ce pays.

Comment procéder ? Deux solutions sont souvent évoquées : la prise du pouvoir au niveau national par en bas (communes libres fédérées) ou par en-haut (prise de l’appareil d’Etat). 

 


mardi 2 juillet 2024

Article : "La Constance de l'erreur : quelques idées-reçues sur les serial killers"

 Paru dans lundimatin#435, le 2 juillet 2024

 La lecture critique du roman de Maxime Chattam, La Constance du prédateur, permet de balayer plusieurs idées-reçues sur les tueurs en série qui ont la vie dure, dans la fiction comme les écrits plus spécialisés, ignorant superbement plusieurs décennies d’études sérieuses en sciences sociales sur le sujet.

 

 

 

Suite de l'article : https://lundi.am/La-Constance-de-l-erreur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

lundi 6 mai 2024

Les insurgés contre le culte de la beauté

 Si l’apparence d’un individu donne lieu à des jugements dépréciatifs et engendre une souffrance chez celles et ceux qui n’ont pas la chance d’être considérées comme « beaux » ou « belles », on peut se demander si cette injustice n’est pas aggravée par un lien possible entre beauté et réussite sociale. La beauté constitue-t-elle un capital qui favoriserait l’ascension sociale pour une minorité d’individus et désavantagerait au contraire les moins bien lotis ?

Dans un documentaire intitulé Le chic des laids (2019)[1], on découvre le « Club des gens laids » (Club dei brutti), qui rassemble plus de 32 000 membres dans le monde et organise chaque année le concours de « l’homme le plus laid d’Italie ». Ce club, qui était au départ une sorte d’agence matrimoniale offrant son aide aux personnes « pas très séduisantes » désireuses de se marier, est devenu le « défenseur des laids », se donnant pour objectif de « dédramatiser la laideur, en s’en amusant », comme l’explique son président Giannino Aluigi. Le reportage présente ainsi ses membres comme des « insurgés contre le culte de la beauté » :

« « La laideur est une vertu, la beauté une servitude. » Telle est la devise du village italien de Piobbico, dans la région des Marches. Ses quelque 2 000 habitants opposent en effet une résistance farouche au culte de l’apparence, perpétuant chaque année une tradition née en 1879 : le festival des moches. (…) Ils sont nombreux à faire le déplacement car ils ne rateraient sous aucun prétexte les parades chamarrées qui se succèdent à cette occasion, accompagnées de vin, de danses et de chants. De l’avis général, l’élection de l’homme le plus laid d’Italie est le moment phare du festival. Le vote a lieu dans une ambiance joyeuse et détendue. En effet, à Piobbico, personne ne doit avoir de complexe parce que son physique ne correspond pas aux canons de beauté en vigueur. S’il peut prêter à sourire, le sujet est en réalité très sérieux, comme en témoigne « Poldo » Isabettini, grièvement blessé dans un accident qui l’a profondément marqué sur le plan physique et psychique. « L’homme le plus laid d’Italie », c’est lui – un titre qu’il entend bien défendre à Piobbico. Car au-delà de la compétition, il en va de son amour-propre »[2].

 

Documentaire Le chic des laids (Arte, 2019)

Giannino Aluigi explique que son club reçoit nombre de lettres dans lesquelles leur auteur raconte son expérience personnelle de la laideur, expérience de rejet et de souffrance. Le but du club est donc de faire en sorte que l’on « arrête de stigmatiser la laideur » : « Notre philosophie de vie consiste avant tout à ne pas prêter d’importance au mot laid. C’est à force de répéter « il est moche, il est beau », qu’on fait exister la différence. Il faut arrêter d’accorder de l’intérêt à cette distinction. D’ailleurs la beauté qu’est-ce que c’est ? C’est une façon de voir ! ». Est-ce une façon de nommer les choses ou de les voir ? Et ne plus nommer la chose suffira-t-il à la faire disparaître ? Il n’est pas certain que cette déconstruction d’un mot ou d’une représentation soit vraiment efficace, d’autant que celles et ceux qui fixent les canons de beauté disposent de moyens colossaux pour perpétuer cette représentation. De fait, les industries culturelles et médiatiques, sans parler des mondes politique et économique, n’ont pas l’air d’être spécialement préoccupés par la souffrance générée par le « culte de la beauté »…

lundi 29 avril 2024

Conseil lecture de Mr Mondialisation

 Les tueurs en série, miroir de notre déshumanisation capitaliste ? Les recherches sur les serial killers ne manquent pas (et encore moins les séries...), mais Laurent Denave pousse l'analyse infiniment plus loin et le résultat est passionnant. Refusant strictement la thèse de l'inné ou de la défaillance cérébrale, ce docteur en sociologie ose clairement attribuer la naissance du tueur en série à la violence capitaliste.

Au rythme record d'une information par phrase, l'auteur démontre comment des sociétés inégalitaires à l'extrême, y compris cristallisées jusque dans l'univers domestique (la fameuse enfance des criminels), génèrent des quêtes de vengeance ici sanguinaires.

Chiffres et études à l'appui, il explique comment le phénomène des tueurs en série, on le rappelle très récent dans l'histoire de notre évolution, est le fruit d'un modèle américain poussé au paroxysme de la prédation ; prédation par ailleurs piégée. Mieux, il montre comment la monstruosité de ces profils nous renvoie en réalité à une forme d'inhumanité ordinaire et banalisée : celle de nos systèmes mortifères où une minorité de puissants écrase des milliards de vies en toute légalité.

Génocides, guerres meurtrières au nom d'intérêts opaques, crises économiques à répétition, chômage de masse, concurrence effrénée et stimulée, humiliations sociales, positions professionnelles dénigrantes,... les cas de tueurs en série notoires sont exposés, décortiqués, grâce à Bourdieu, Foucault ou Marx, avec un objectif d'efficacité : cibler et déconstruire les origines du mal.

Ici, aucun jugement moral n'est en jeu, ce n'est pas le sujet. Il ne s'agit pas d'excuser, et encore moins de minimiser les crimes atroces qui ont été commis, mais de réanimer une forme de généalogie de la violence à travers une thèse documentée et vraiment instructive sur les notions complexes de pouvoir, d'oppression, de patriarcat, d'injustices de classe et même de cannibalisme...

Un livre sorti en février dernier, à se procurer aux Éditions Raisons d'Agir et en librairie indépendante : https://www.librairiesindependantes.com/.../9791097084370/

Infos et Débats | Mr Mondialisation